Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

BENIN : PRIVATISATION DU SYSTEME ELECTORAL

L’affaire était dénoncée depuis plusieurs mois. Nouvel épisode – peut-être le plus extravagant – du recul démocratique spectaculaire amorcé au Bénin depuis l’accession au pouvoir de l’homme d’affaires Patrice Talon : les Béninois sont invités aux urnes le 11 avril prochain, au terme d’un processus électoral vidé de toute forme de compétition. Pour cette présidentielle, le président sortant sera bien le seul « en position éligible ».

Après avoir écarté l’opposition des élections législatives en avril 2019, puis, un an plus tard, des élections communales, le chef de l’Etat béninois, inspirateur d’une artificieuse « réforme du système partisan », aura été aussi le grand ordonnateur d’une modification de la Constitution en novembre 2019, destiné notamment à verrouiller le jeu politique, en le plaçant comme l’unique décideur en toutes choses. De ces grandes manœuvres est issue une disposition obligeant tout candidat à l’élection présidentielle à disposer d’au moins 16 « parrainages » délivrés par des « grands électeurs ». Cette disposition aurait pu être moins suspecte si le pluralisme politique était encore en vigueur dans le pays. Or, comment exiger des grands électeurs l’impartialité et le discernement républicains dans un contexte où le Parlement et les élus locaux appartiennent tous à la mouvance présidentielle ? En toute logique, ces grands électeurs, tous préposés à la cause présidentielle, ne sauraient réserver lesdits parrainages qu’à leur commanditaire, qui se trouve être le chef de l’Etat, candidat à sa propre succession.

Début février 2021, à l’heure du dépôt des dossiers de candidatures à l’élection présidentielle, nul n’était en mesure de savoir précisément sur quels critères les grands électeurs allaient fonder la délivrance des fameux parrainages. En réalité, ces élus dévolus à la cause présidentielle vont se révéler comme de simples exécutants d’un système dont les règles sont essentiellement dictées par celui qui est devenu un dirigeant absolu, un « président du ciel et de la terre ». En réalité donc, pour cette prochaine présidentielle, c’est bien le Président Talon qui, par l’intermédiaire de ses
« élus » privés, choisira ses adversaires. C’est le lieu de rappeler ces paroles prononcées par le néo-autocrate béninois, un an après son accession à la magistrature suprême en 2016 : « Vous savez très bien que dans les petits pays comme les nôtres, ce qui permet à un président en exercice d’être réélu, c’est sa capacité à soumettre tout le monde. Quand tous les députés sont à sa solde, quand tous les maires sont à sa solde, quand tous les élus locaux sont à sa solde, quand tous les commerçants, le craignent, sont à sa solde, quand les partis politiques sont affaiblis, sont à sa solde, sa réélection est facile… Ne soyez pas sourds à ce que je dis : ce qui permet à un président d’être réélu avec assurance, ce qui assure la réélection d’un président, ce n’est pas son mandat, pas son résultat, c’est la manière dont il tient les grands électeurs, c’est la manière dont il tient tout le monde, c’est la manière dont personne n’est capable de lui tenir tête, d’être compétiteur contre lui. Quand vous n’avez pas de compétiteur, vous aurez beau être mauvais, vous serez réélu. » Des mots méthodiquement traduits en actes dans un pays que le monde peine à reconnaître. Le monde qui observe, sans y croire vraiment, au retour du monolithisme politique et d’un pouvoir exclusif dans un pays qui, entre 1991 et 2016, avait connu plusieurs alternances présidentielles et législatives paisibles, sous le sceau du pluralisme démocratique.

Ce 12 février 2021, alors qu’une vingtaine de candidatures ont été soumises à l’appréciation de la Commission électorale, les regards étaient tournés vers l’auguste institution pour connaître les conclusions de la sinistre farce. Le pouvoir allait-il céder à l’ultime audace d’écarter de la compétition les candidats d’une opposition affirmée ? Et c’est bien ce qui est advenu, dans ce Bénin où le régime Talon a rendu possibles tous les forfaits. Trois candidatures « disposant de parrainages » ont été retenues : celles de Patrice Talon, Alassane Soumanou, Corentin Kohoué (et leurs trois colistiers à la vice présidence). Ecartés donc de la compétition électorale, les candidats susceptibles d’engager une véritable confrontation avec le président sortant… Dans cette configuration, Patrice Talon sera le seul candidat de « son » élection, accompagné par deux courtois participants invités à faire de la figuration dans un simulacre électoral. Entre provocation et braquage institutionnel, la machine à exclure toute opposition du jeu politique se confirme, avec une audace inouïe, au mépris d’une population tétanisée, désabusée, ou simplement indifférente.

Jusqu’au bout d’une logique inédite de restauration autocratique, le régime en place a, au cours d’un quinquennat, pulvérisé toutes les digues de la confiscation des leviers du pouvoir d’Etat. Confiscation des grands secteurs de l’économie nationale, mise sous tutelle des institutions nationales, anéantissement des contre-pouvoirs, tentative d’enracinement de la violence d’Etat… La liste est longue, de tous les actes ahurissants posés par un régime du coup d’Etat permanent qui a transformé un pays en une entreprise privée. Poursuivant cette funeste logique, l’actuel dirigeant béninois aura décidé, une fois encore, de fouler aux pieds le droit de ses concitoyens à choisir librement leurs dirigeants. La situation, à la veille de la présidentielle d’avril 2021, confirme un peu plus encore cette évidence, actuellement à l’œuvre au Bénin : l’insoutenable privatisation du pouvoir d’Etat.

Francis Laloupo 

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