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Le blog de Francis Laloupo

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Impunité tarifée

Hissène Habré, ancien président du Tchad de 1982 à 1990, aujourd’hui en exil au Sénégal, sera-t-il jugé un jour pour les crimes dont il est accusé ? Contraint à la fuite après le coup d’Etat mené par son successeur Idriss Déby Itno, il coule des jours tranquilles sous les cieux sénégalais, affichant une parfaite sérénité en dépit des multiples plaintes déposées à son encontre auprès de la justice par ses anciennes victimes et une kyrielle d’ONG de défense des droits humains.

Il faut dire que cet ancien coupe-jarrets, tortionnaire patenté et expert en purification ethnique est inculpé de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture. Sous son règne, 1208 personnes sont décédées en détention, et 12 321 personnes ont été victimes de traitements cruels et de violations diverses.

Après les premières plaintes déposées en 2000, le Sénégal s’était déclaré incompétent pour juger sur son territoire l’un des plus grands criminels de l’histoire récente. Cédant à la pression conjuguée des victimes, des ONG, de juristes africains et de l’Union africaine, le pouvoir sénégalais, prendra ensuite les dispositions nécessaires – matérielles et constitutionnelles – afin d’instruire le procès. Avant d’annoncer que son pays ne dispose des moyens financiers requis pour organiser la procédure, et de réclamer des institutions africaines et de l’Union européenne le décaissage des fonds nécessaires.

Un « blocage » qui offre opportunément une garantie supplémentaire de tranquillité pour le sieur Habré. Au grand dam des plaignants qui n’hésitent pas à accuser le Sénégal de « protéger l’impunité de Hissène Habré». Sentiment relayé par Alioune Tine, Président de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) basée à Dakar : « Le moment est venu de faire la lumière sur le jeu sordide du Sénégal qui consiste à poursuivre des manœuvres dilatoires depuis 9 ans afin d’éviter à Hissène Habré de comparaître devant la justice. Comment comprendre que l’Etat sénégalais continue à défier de façon hautaine la décision de l’UA et des Nations unies ?… »

Le 11 décembre dernier, des représentants de l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et du gouvernement sénégalais réunis à Dakar ont chiffré le budget nécessaire à la tenue du procès à… 18 milliards de FCfa (27,5 millions d’euros). Que ceux qui peuvent payer lèvent le doigt ! Le silence règne dans les rangs. Au vu de ce dernier rebondissement, l’on peut dire que le dossier Hissène Habré apporte une insigne contribution à l’épanouissement de la justice internationale, en instituant la comptabilité de l’impunité.

(14 décembre 2009)

La deuxième vie de l’impunité

Le mandat d’arrêt émis le 4 mars dernier par la Cour pénale internationale à l’encontre du président soudanais Omar El-Béchir est un véritable test pour cette institution dont les décisions ne valent que par la bonne volonté des 109 pays qui en ont ratifié le statut.

Alors que certains – en Afrique – refusent de reconnaître le bien-fondé de ce mandat d’arrêt, d’autres – en Europe – expriment leur embarras, s’agissant d’arrêter sur leur sol Omar el-Béchir pour le livrer, comme cela se devrait, à la CPI. Si l’on imagine mal une reddition du président soudanais, et moins encore un enlèvement – ce qui serait illégal -, que reste-t-il comme possibilité pour conclure le dossier El-Béchir selon les souhaits de la CPI ? Pas grand’ chose. Pourtant, « l’échec » de la CPI priverait les soudanais sacrifiés au Darfour d’un acte de justice auquel est associée la conscience mondiale. Chacun sait aussi que si l’acte posé par la CPI n’est pas suivi d’effet, l’impunité, à l’échelle internationale, jouirait d’un regain de vitalité. D’une deuxième vie, en somme. Pour longtemps.

(9 mars 2009)