Au cœur de l’actualité centrafricaine, le double scrutin présidentiel et législatif du 27 décembre prochain. Quelque chose qui ressemble à une campagne électorale est en cours dans le pays. Campagne surréaliste sur fond de crise sécuritaire majeure et de querelles subalternes entre le camp du pouvoir et celui des oppositions. Dire que la Centrafrique est en crise relève de la redondance. Ici, la crise, multidimensionnelle s’il en est, est devenue la règle. L’ordinaire. L’absence de crise y est devenue l’exception, une respiration brève et momentanée, précédant le retour aux péripéties de l’interminable dramaturgie. La République Centrafricaine (RCA) a produit, au fil des années, des crises d’un genre nouveau : celles qui fatiguent. Grosse fatigue de la population. Lassitude à peine dissimulée des instances internationales et autres médiateurs épisodiques. On aura tout essayé…
Qui se soucie réellement de la prochaine élection présidentielle, à part les acteurs politiques nationaux qui se comportent comme si l’on se trouvait dans un pays « normal » ? Un pays dont les trois quarts du territoire sont occupés par de sinistres groupes armés. De ce fait, la Centrafrique est devenue, sur la planète, le pays qui illustre le plus dramatiquement l’expansion des « zones grises » investies, contrôlées et économiquement exploitées par des groupes armés non étatiques, et où l’autorité du pouvoir central n’a cessé de reculer, au point de n’être plus qu’un lointain souvenir. Face à cette « duplication territoriale », la communauté internationale – ONU en tête – en est réduite à se donner bonne conscience en parrainant une illusion d’Etat à travers des élections qui, contrairement aux promesses des discours officiels, ne sont pas parvenues depuis 2015 à résoudre une crise aux persistantes métastases. En effet, l’élection à la présidence de Faustin-Archange Touadéra en 2015, couplée avec des législatives, n’aura en rien justifié la thèse de la solution électorale à une crise aux racines anciennes, et face à laquelle les acteurs politiques nationaux n’ont jamais pu apporter des réponses endogènes pertinentes. Le déploiement, dans le pays, de la mission onusienne – la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine) – n’aura pas davantage fait progresser la normalisation de cette entité territoriale et le renforcement de l’Etat central. Bien au contraire. D’autant que le mandat de la Minusca, en tant que « force de maintien de la paix » dans un contexte de conflit actif, demeure à maints égards équivoque.
Le pouvoir sortant, élu en 2015, aura tout essayé. Il aura d’abord présenté la mise en place d’un « dialogue » avec les groupes armés comme la mère de toutes les solutions. En pure perte. En février 2019, le même pouvoir signait avec des représentants de quatorze groupes armés « l’accord de Khartoum », sous l’égide de l’Union africaine, avec l’aval de l’ONU. Le huitième accord de paix depuis 2013. A la suite dudit accord, l’intégration au gouvernement de membres de groupes armés se révèlera comme une stratégie de résolution de conflit particulièrement aberrante, et néanmoins recommandée par les grands médiateurs de cette crise. Les mêmes groupes armés ainsi associés à la gestion de la chose publique ont continué de mener des actions violentes, avec leur lot d’exactions à l’encontre des habitants épuisés, dans un pays où la moitié de la population est dépendante de l’aide humanitaire internationale.
Alors que la RCA s’est engagée dans un nouveau processus électoral, plusieurs membres de ces groupes armés qui n’ont jamais émis la moindre revendication politique intelligible, se sont portés candidats aux élections législatives du 27 décembre prochain. Des candidatures rejetées par la Cour constitutionnelle centrafricaine, au motif qu’elles « sont de nature à porter gravement atteinte à la sincérité du vote ». Dans le même temps, le 9 décembre dernier, la Minusca exprimait « de fortes préoccupations » en condamnant « les alliances entre partis politiques et groupes armés ». Le porte-parole de la Minusca, Vladimir Monteiro, invitait alors ces groupes illégaux à « respecter leurs engagements et à s’abstenir de poser des actes pouvant entraver le processus électoral ». La Centrafrique est désormais marquée par une double singularité : une manière de co-gestion non écrite de l’espace national par le pouvoir central et des groupes armés non étatiques, et la mise sous tutelle d’un Etat dont la survie dépend essentiellement du soutien politique et militaire, ainsi que des concours vitaux de la communauté internationale.
Combien de candidats à la présidentielle du 27 décembre 2020 ? Pas moins de dix-sept, après le rejet de quatre candidatures, dont celle de l’ancien président François Bozizé, ex putschiste, déposé à son tour en 2013 par le coup d’Etat qui a débouché sur la crise sécuritaire en cours. Bozizé, l’un des architectes du chaos centrafricain, rentré d’un bref exil en 2019, est visé par des sanctions de l’ONU et un mandat d’arrêt international depuis le 31 mars 2014 pour des motifs d’assassinats, d’exécutions extrajudiciaires et de torture. Dans un contexte centrafricain où toutes les aventures semblent possibles depuis de nombreuses années, l’ancien dirigeant centrafricain comptait sur son retour sur le sol national pour aller, une fois encore, à l’assaut du pouvoir. Une tentative ahurissante. Rien ne dit pour l’heure qu’il se conformera scrupuleusement à la décision de la Cour constitutionnelle.
Dix-sept candidats donc à la présidentielle. Pour quoi faire ? Pour produire le spectacle d’une improbable normalité. Des candidats qui veulent pourtant croire qu’une autre Centrafrique est possible. En attendant, peu de suspense pour cette présidentielle qui devrait déboucher sur un statu quo, à savoir la reconduction du sortant Faustin-Archange Touadéra au sommet d’une fiction d’Etat.
Francis Laloupo
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