Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

Archives Mensuelles: août 2009

Chantage religieux

Le Mali est un pays laïc. Une république fondée sur des lois civiles. Les députés maliens ont adopté, début août, le nouveau Code de la famille et des personnes. Il était temps, car ce pays n’a jamais disposé d’un Code de la famille homogène et unique, les pratiques sociales ayant été jusqu’ici soumises aux divers contextes nationaux et aux interprétations particularistes. Mais face à la fronde du Haut conseil islamique, le président Amadou Toumani Touré a renoncé à la promulgation du nouveau Code, le renvoyant vers l’Assemblée nationale « en deuxième lecture ». Ce qui signifie en clair que l’Etat républicain vient de reculer devant le chantage et la pression des chefs religieux et de leurs adeptes qui, à coups de manifestations monstres, ont promis le texte au bûcher.

Motif de leur courroux : dans ce texte qui contient près d’un millier d’articles, les gardiens autoproclamés du culte musulman n’apprécient guère ceux qui accordent des droits nouveaux et somme toute élémentaires aux femmes et à leurs enfants au sein de la société. Une fois de plus, c’est la promotion légitime de la femme au sein d’une société à majorité musulmane qui provoque l’urticaire chez les religieux et met le feu aux poudres. Inutile de préciser que c’est la gent masculine qui proteste contre ce nouveau Code de la famille…<br />
Qui aurait pu imaginer, il y a quelques siècles, qu’après avoir été convertis par la force au culte musulman, des Africains, au Mali, comme au Nigeria, deviendraient les plus farouches défenseurs de l’interprétation la plus obscurantiste et intolérante d’une religion aujourd’hui livrée à toutes formes d’instrumentalisation ? Anathématisé, ce nouveau Code de la famille malienne, qui aurait dû constituer une avancée majeure dans ce pays, sera donc soumis à de ténébreuses négociations entre élus républicains et manipulateurs de l’intemporel. Ce recul du laïc face aux assauts des fondamentalistes religieux implique une altération de l’espace républicain, seul garant des droits collectifs. La « deuxième lecture » du Code la famille préconisée par le chef de l’Etat ne servira pas, contrairement au souhait de ce dernier, à « préserver la paix sociale ». En réalité, le texte qui résultera de ce « compromis » consacrera l’emprise du religieux sur la société, et une cohabitation non dite entre le pouvoir politique et l’influence du religieux. On peut, à tout le moins, s’en inquiéter.

(28 août 2009)

Coup d’Etat, façon Tandja

Bon, ce qu’il faut bien appeler un coup d’Etat constitutionnel est désormais consommé au Niger. Grand orfèvre de ce hold-up perpétré contre un pays et ses institutions : Monsieur Mamadou Tandja, chef de l’Etat qui, à quatre mois de la fin de son dernier mandat, a tout simplement décidé, comme un caprice, à travers un invraisemblable référendum, de demeurer au pouvoir… trois ans de plus. Et plus, si pas affinités avec l’humeur populaire.

Depuis le déclenchement du processus démocratique en Afrique, on a pu voir ici et là certains régimes rétifs à ce mouvement déployer des trésors insoupçonnés d’imagination pour détourner le cours de l’Histoire, et décourager toutes les velléités de changement de ces systèmes politiques qui ont conduit la plupart des pays du continent à la faillite.
Fraudes électorales, manipulations électroniques d’urnes, intimidations systématiques organisées à l’encontre des partis d’opposition, modifications grossières de la Loi fondamentale, détournements des règles du jeu au profit du pouvoir, et, nec plus ultra, fomentation de guerres civiles et instrumentalisation des clivages identitaires. Le chef de l’Etat nigérien, certainement entouré de « conseillers » particulièrement discrets et de diverses nationalités, vient d’innover en la matière, en ajoutant à cette sinistre liste de forfaits, un protocole inédit de détournement et de mise à mort des acquis démocratiques.
Comme toutes les autres atteintes précitées au processus de démocratisation – pourtant irréversible ! – en cours sur le continent, l’acte que vient de poser Mamadou Tandja n’est, ni plus ni moins, qu’un coup d’Etat, dans sa plus triviale expression. Inutile de recourir à des contorsions cérébrales pour qualifier autrement cette crise déclenchée par un homme dont le profil suscite désormais moult interrogations. Celui qui se voulait pendant plusieurs années « un homme discret » vient d’inscrire spectaculairement son nom dans les pages sombres de l’histoire de son pays. Un putschiste patenté. Sombre héros d’une sinistre entreprise aux conséquences incalculables.
Il est à craindre qu’il lui faille désormais compter avec un peuple dressé contre lui. C’est ce peuple-là, un temps méprisé et humilié, qui sera l’auteur des prochains épisodes de cette malheureuse aventure.

(19 août 2009)

Cette part sombre de l’Amérique…

On le savait : l’élection de Barack Obama à la Maison Blanche n’allait pas transformer l’Amérique en un monde idéal, soudain débarrassé de toutes ses tares qui ont pour noms violences sociales, individualisme forcené, racisme ordinaire et endémique… Le pire de l’Amérique s’invite de nouveau dans l’actualité, à l’occasion du vif débat sur la réforme de la couverture santé (Health Care), l’une des grandes promesses électorales du président Obama. Certains opposants à cette réforme ont donc décidé ces jours-ci de nous jouer une nouvelle version de « Ku Klux Klan, le retour »,…

…En multipliant les menaces les plus odieuses à l’encontre du président américain et de tous ceux qui, comme lui, seraient tentés de faire passer une réforme qu’ils associent à un « complot communiste ». Le tout, mâtiné de propos racistes que ne renieraient pas les partisans de la ségrégation des années 50. David Scott, représentant démocrate de Géorgie, un Noir, a eu droit à une croix gammée peinte sur la façade de son cabinet d’avocat à Smyrna, une banlieue d’Atlanta. Auparavant, le politicien avait reçu plusieurs lettres à caractère ouvertement raciste présentant par ailleurs Obama comme un communiste. Dans ce même registre de l’ignoble, les opposants au projet ont attaqué Arlen Specter, un sénateur républicain qui s’est rallié au camp démocrate sur ce dossier, avec des arguments proprement insoutenables, n’hésitant pas à déclarer que sans le système de protection actuel, ce parlementaire, qui est atteint d’un cancer, « ne serait plus là pour défendre » le nouveau projet qui devrait étendre la couverture santé aux plus grand nombre, principalement les plus démunis. En réponse à ces fous furieux qui ramènent le débat démocratique au plan du caniveau, Barack Obama s’est adressé à ses compatriotes les invitant à « ne pas écouter ceux qui cherchent à effrayer et égarer le peuple américain », tout en précisant : « Parmi toutes les techniques visant à vous effrayer, il y en a une vraiment effrayante, qui consiste à ne rien faire ». Si Obama symbolise la victoire de la démocratie, l’on sait que nulle part, en ce bas-monde, les multiples vertus de ce système politique – « le pire à l’exception de tous les autres », comme disait Winston Churchill – ne sont pas encore parvenues à faire reculer les plus redoutables manifestations de la connerie humaine.

(12 août 2009)

Femmes en danger

On ne le dira jamais assez : ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut – celui de leur intégrité physique et morale – aux guerres et autres violences armées qui persistent à travers le monde. Notamment en République démocratique du Congo (RDC), où diverses factions ivres de guerre ont, au fil des années, transformé leurs miliciens en redoutables machines à tuer. Résultat de leurs campagnes quotidiennes de terreur, 1 100 viols signalés chaque mois, 36 femmes et filles, au moins, quotidiennement victimes de viols assortis de mutilations diverses…

Parce que l’extravagance la dispute à l’horreur, cette macabre comptabilité, officiellement publiée par les observateurs accrédités sur le terrain, n’est que la face immergée des atrocités dont l’ampleur défie l’imagination. Lors du voyage qu’elle entreprend actuellement sur le continent, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a tenu à être accompagnée de Mme Melanne Verveer, diplomate itinérante des Etats-Unis, la première, nommée par Barack Obama, en charge des questions relatives à la situation des femmes dans le monde. La présence de  M. Verveer – militante de vieille date des droits des femmes dans son pays – durant la tournée d’Hillary Clinton constitue un geste politique fort, permettant de diriger plus que jamais auparavant les projecteurs sur le sort des femmes, notamment en RDC où cette question a pulvérisé, dans certaines contrées, toutes les frontières du soutenable.
Comme pour donner davantage de force à cet « engagement américain » à travers le monde, les Etats-Unis ne se cantonneront pas dans un rôle de donneur de leçon au reste du monde. En effet, sur le territoire américain même, un nouveau poste a été créé depuis l’accession d’Obama à la Maison Blanche : celui de « conseiller en matière de violences contre les femmes, chargé de présenter au président et au vice-président des recommandations sur les dossiers de la violence au foyer et des agressions sexuelles aux États-Unis ». C’est le vice-président, Joe Biden lui-même, auteur par ailleurs d’une loi sur les violences faites aux femmes, qui s’est chargé en juin dernier, d’annoncer la nomination à ce poste de Lynn Rosenthal, connue pour ses travaux et ses positions sur les violences subies par les femmes sur le territoire américain. Parce que le sort des femmes en RDC interpelle la conscience universelle, cette situation doit sans cesse rappeler qu’à travers le monde, nombre de femmes sont exposées au quotidien, à divers degrés, à des traitements intolérables. Proche ou lointain, en situation de guerre ou de paix, le sort des femmes livrées aux violences atteste, partout, de l’état de santé ou de morbidité des sociétés humaines.

(5 août 2009)