Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

Archives de Tag: Afrique

Premier coup d’Etat…  – Extrait de « France – Afrique, La rupture maintenant ? » de Francis Laloupo (Editions Acoria, 2013)

Un jour de l’année 1963 a laissé son empreinte, ineffaçable, en ma mémoire. J’avais huit ans. Le jour du premier coup d’Etat de l’histoire du Dahomey. Trois ans après la proclamation de l’indépendance et l’installation à la tête du jeune Etat d’un premier gouvernement dirigé par le président Hubert Maga. J’ai le souvenir encore précis de la couleur, de la lumière inhabituelles, de ce jour dans la ville de Cotonou. Souvenir des clameurs dans la rue, de la musique militaire qui jaillissait des postes de radio (le nôtre était un poste massif alimenté alors par une imposante batterie). Le temps semblait suspendu dans ma ville natale. Les hommes et les femmes semblaient se mouvoir dans un décor irréel, jusque là inconnu, proférant des slogans que je ne comprenais pas. Je percevais dans ce vacarme, sans en être sûr, une liesse formidable. J’avais été autorisé à sortir de la maison et me poster devant le portail, sous la discrète surveillance de ma mère entourée de mes deux sœurs aînées. Mon père se trouvait alors en France, pour parachever sa formation d’administrateur civil. Je pouvais regarder le déferlement de foules armées de branchages de palmier – matière symbolisant la contestation ou la révolte, me dira-t-on – scandant des mots dont le sens m’échappait, mais dont la tonalité incantatoire signalait à mon esprit que ce jour n’était pas semblable aux autres. La lumière de ce jour éveillait en moi, pour la première fois peut-être, un sentiment de béatitude volatile et floue, sans explication. Peut-être à cause de cette sensation de temps suspendu, comme un commencement du monde. En écoutant les conversations des voisins qui se sont joints à nous, je comprenais que ces manifestations avaient commencé deux jours plus tôt, un vendredi. Les grandes personnes disaient : « Le vendredi est un bon jour pour un coup d’Etat ». Aujourd’hui, dimanche, les marches dans les rues avaient donc redoublé d’intensité, donnant à ce jour une lumière nouvelle.

En regardant la foule qui se dirigeait vers le palais présidentiel, j’étais envahi par un mélange de fascination et de vague inquiétude. Quelqu’un de mes proches – je ne sais plus bien – m’expliquait tout cela, me livrait laconiquement le décryptage hasardeux de l’événement. L’enfant spectateur que j’étais aimait regarder cette foule se mouvoir dans ce décor fixe, comme des ombres compactes éclairées par la lumière blanche et parfaite d’un jour d’octobre. On disait aussi qu’octobre était un bon mois pour les putschs… J’étais épaté, mais aussi un peu apeuré par cette agitation paradoxalement festive qui semblait se manifester de tous les horizons du monde. Les clameurs, les mouvements, les chants et danses, les rires aussi… tout cela ressemblait à une farandole, transformant soudainement le cours du jour. Une joie immobile était inscrite sur les visages de ma mère et mes sœurs. De temps à autre, ma mère se détachait de notre petit groupe familial, avançait vers la rue et encourageait les passants en scandant : « Ablodé !», le poing levé. Ablodé, signifiait « indépendance ». Ce jour était forcément grand et créateur. Annonciateur de lendemains radieux. Trois ans après l’indépendance, les habitants du Dahomey voulaient transformer en réalité la promesse inscrite dans le titre de l’hymne national : « Aube nouvelle ». Cela ne pouvait être autrement. Sans bien comprendre ce qui avait entraîné la condamnation et la déchéance en cours du régime en place – le premier de l’ère postcoloniale -, mon esprit d’enfant s’associait à cette allégresse collective et impénétrable.

Le lundi 28 octobre 1963, le premier président du Dahomey, Hubert Maga, était contraint à la démission. La population découvrait alors un rituel qui se répétera à plusieurs reprises lors des futurs autres coups d’Etat, durant les prochaines années : l’interruption des programmes à la radio suivie de la diffusion sur les ondes de musiques militaires, seulement interrompues par des séquences cycliques des discours des nouveaux maîtres hissés au sommet de l’Etat… Et la foule murmurant : « Le régime est tombé ». Une foule partagée entre l’épuisement, l’expectative et l’anxiété. L’épilogue des coups d’Etat ressemble au lendemain des fêtes : chargé d’une féroce morosité. La fin des fêtes est triste. Je saurai, beaucoup plus tard, que l’histoire de l’Afrique après les indépendances sera jalonnée de promesses de jours meilleurs. Et l’on inventera des mots pour cela : révolution, changement, rupture… Mon premier coup d’Etat est devenu, dans la formation de ma mémoire politique, la cicatrice initiatrice.

In France – Afrique, La Rupture maintenant ? – Pages 73 à 76.
Francis Laloupo (Editions Acoria, 2013) Disponible en librairie.
Prochain ouvrage de l’auteur à paraître en Avril 2022 :
« Blues démocratique – Afrique, 1990-2020 » aux Editions Karthala

Afrique : L’alibi du « complot » permanent

[Version intégrale]*

L’affaire a de quoi inquiéter. Alors que quelques années plus tôt, j’en sous-estimais la portée, je dois bien reconnaître qu’il s’agit de ce que les sociologues désignent comme une « tendance lourde ». Sur des chaînes privées de télévision et de radio, dans des journaux et sur les réseaux sociaux, le phénomène s’étend, s’amplifie et agit par capillarité au sein des opinions africaines. De quoi s’agit-il précisément ? D’un nouveau syndrome. Le syndrome du complot permanent de l’Occident dressé contre l’Afrique.

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Mali : « Le jour le plus important… »

francois-hollande-president-malien-dioncounda-traore-2-fevrier-2013-a-bamako-mali-1206247-616x380Quelque chose d’inédit s’est produit au Mali, le 2 Février dernier. La visite de François Hollande dans ce pays en guerre aurait pu ressembler à bien d’autres : une revue des troupes, la démonstration offerte aux caméras d’un chef de guerre allant braver l’ennemi dans le brasier du conflit, ou encore, à la manière d’un Sarkozy en Libye d’après-guerre, le spectacle forcément navrant du libérateur mettant en scène sa propre satisfaction. En vingt-quatre heures d’une visite à la fois tranquille et chargée de la tension inhérente à un tel contexte, François Hollande, qui n’avait pas une connaissance sensible de l’Afrique subsaharienne avant son élection à la magistrature suprême, aura fait d’un contexte de guerre, l’occasion d’une réelle rencontre avec le Mali. Le fait est suffisamment rare pour être souligné : la presse malienne, unanime, a salué cette visite. Aussi bien pour le sens qui en émanait que pour le discours prononcé à Bamako. Un discours qui, tout s’en inspirant de l’événement, est parvenu à transcender la tragédie en cours dans le pays. Un discours, dont on n’a pas fini de décrypter le contenu et les incidences, venu conforter un fait, tout aussi rare : le sentiment favorable émis par la majeure partie de l’opinion africaine à l’égard d’une intervention française sur le sol africain. Là aussi, l’actuel chef de l’Etat français a su déjà imprimer sa marque, au demeurant exceptionnelle, aux yeux de l’opinion.

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L’aube libyenne et la brume des polémiques

Tout a commencé le 17 février dernier. Des opposants libyens appellent alors, via les réseaux sociaux, à une « Journée de la colère ». Le mois précédent, à Addis Abeba où je me trouvais à l’occasion du 16e Sommet de l’Union africaine, les délégations officielles, particulièrement économes en déclarations sur les événements en cours en Égypte, allaient s’étonner de l’annulation, la veille du sommet, de la venue de la délégation libyenne. Une absence d’autant plus surprenante que le colonel Kadhafi avait, ces dernières années, fait de cette grand’messe africaine la scène favorite de la démonstration de son influence… Nul n’aurait imaginé, à ce moment-là, qu’en Libye aussi, l’histoire allait basculer quelques petites semaines plus tard. En ce mois de janvier 2011, les représentants de la Tunisie « nouvelle et révolutionnaire » étaient venus expliquer aux délégations étatiques et aux journalistes présents au siège de l’UA, la trame et les desseins de leur « révolution ». Sur leurs visages radieux, les promesses, rares en ce lieu, d’une aube nouvelle.

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Le Christ s’est-il arrêté à Mogadiscio ?

Les adeptes des spéculations millénaristes devraient réviser leur bréviaire : et si le scénario de la fin des temps était bien différent de celui qui maltraite leur ciboulot depuis des lustres ? Selon les allumés de l’Apocalypse, le monde devrait s’écrouler d’un coup, frappé par un fatal cataclysme aux furieuses et jubilatoires déclinaisons, emportant, avalant, pulvérisant tout sur son passage… En quelques heures seulement, le temps d’un éclair certainement, les cris, gémissements et hurlements des humains empliraient l’univers. Fabuleuse symphonie de l’ultime soupir d’une planète qui offrirait ainsi, avec panache à la galaxie, le majestueux spectacle de son divin trépas. C’est ainsi, en tout cas, que les esprits enfiévrés, les mêmes qui avaient annoncé l’événement pour l’an 2002 2000, dessinent leur fin des mondes. Aussi fascinant que l’univers coloré des contes de nos enfances… Et si le scénario était tout autre ? Moins sexy ? Moins… symphonique ? Et si l’événement se manifestait, disons… par étages ? Par période, par avancées ? A un rythme à peine perceptible, opérant comme un sournois alcool dont l’empire s’étend dans les corps, insensiblement ? Sans surprise, inoculant discrètement l’habitude même de son action ? Cela a peut-être déjà commencé, ainsi, en Somalie…

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Le syndrome de l’opposant historique : Wade, Ggagbo, Olympio et les autres…

L’Afrique postindépendance a produit un homo politicus d’un genre particulier : l’opposant historique. C’est une variété spécifiquement africaine, et que le monde entier pourrait envier au continent. Il est d’ailleurs étonnant que, dans les études de sciences politiques, l’on n’ait pas encore songé à inclure un chapitre sur ce spécimen qui, pourtant, depuis cinquante ans, a joué sa partition, aussi constante que nécessaire, dans la conflictualité politique en Afrique. C’est là une lacune d’autant plus fâcheuse qu’il s’agit d’une espèce en voie de disparition.

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