La situation qui prévaut dans le Nord du Mali offre désormais une parfaite lisibilité. Le constat est sans appel : des forces armées constituées se réclamant d’un islamisme radical ont décidé de faire de cette région un nouveau bastion du terrorisme international. Le temps n’est plus aujourd’hui aux tergiversations et autre billevesées diplomatiques. Plusieurs personnalités habitant les villes de Tombouctou, Gao et Kidal l’affirment sans détour : les éléments sont actuellement réunis pour transformer, dans les deux mois à venir, cette partie du monde en un «nouvel Afghanistan».
Après l’écran de fumée du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) revendiquant, dans un premier temps, l’indépendance d’un improbable Azawad, la phase d’occupation du Nord par différents groupes armés associés (AQMI, Ansar Eddine, Mouvement pour l’unicité et du jihad en Afrique de l’Ouest), est désormais achevée. Le mouvement touareg du MNLA, après avoir servi de tête de pont ou de première colonne «politique» à cette équipée, s’est retrouvé marginalisé et chassé des territoires conquis par ses alliés islamistes d’hier… Mais, tout comme ces derniers, le MNLA devra répondre de cette entreprise meurtrière à caractère terroriste. Mis hors-jeu par les fous d’Allah, ivres de violence et de délires patho-religieux, les membres du MNLA viennent de transformer leur mouvement militaire en «Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad». On pourrait en rire, si l’affaire n’était aussi tragique… Toujours est-il que leur revendication indépendantiste s’est évanouie, cédant la place aux objectifs affichés par les nouveaux maîtres des lieux : l’instauration de la charia et du jihad sur l’ensemble du territoire malien.
Face à cette situation, une question se pose aujourd’hui : en l’absence de toute autorité centrale digne de ce nom, depuis le coup d’Etat de mars dernier à Bamako, quels sont les véritables desseins de la Cedeao qui ne cesse d’affirmer depuis la partition du Mali, vouloir «rétablir l’intégrité du territoire par la force», mais tout en se hâtant lentement pour se donner les moyens d’y parvenir ? Les nombreuses réunions tenues à Abidjan sous l’égide du chef de l’Etat ivoirien et président en exercice de la Cédéao, Alassane Ouattara, de même que les médiations chaotiques et chargées d’arrière-pensées, engagées par le Burkina Faso, se sont essentiellement centrées sur un point, un seul : restaurer un succédané d’autorité politique souveraine à Bamako. Et ce malgré le fait que l’on ne cesse de découvrir, un peu plus chaque jour, l’effarant degré de pourrissement auquel était parvenue, en toute ignorance des observateurs étrangers, la classe politique de ce pays.
Près de quatre mois après le coup d’Etat suivi quelques jours après de «l’offensive finale» des groupes armés dans le Nord du Mali, la Cédéao en est encore à se pencher sur l’hypothèse de la formation d’un «gouvernement d’union nationale» à Bamako. Mon confrère Moussa Amar, de l’Agence de Presse panafricaine (APA) résume ainsi la situation : «Les Etats de la région n’ont pas la même appréciation de la situation au Mali. Certains favorisent une action militaire sans vraiment savoir qui seront les soldats qui vont mener la guerre, ni d’où vont parvenir les financements, avec le risque de se retrouver face à une nouvelle Somalie ou en Afghanistan en Afrique de l’Ouest. D’autres pays comme l’Algérie sont hostiles à toute idée d’intervention militaire mais ne présentent pas d’alternatives viables. Ce manque de visibilité fait qu’on est toujours à la case départ : le Nord continue d’être occupé par les bandes armées islamistes qui commencent à s’y installer durablement. Au Sud, la situation se caractérise par la présence d’une junte militaire qui veut donner l’impression de ne pas être aux commandes, mais contrôle dans la réalité presque tous les leviers du pouvoir.»
Alors que les combattants du Jihad, fauteurs de tous les périls, étendent leur empire dans le nord du Mali, la question fait encore débat : faut-il continuer de s’en référer au primat d’un formalisme légal en s’obstinant à reconstituer les oripeaux d’un pouvoir central au sud, à Bamako, avant seulement d’engager une action décisive à l’encontre de la conjoncture néfaste qui se déploie dans le Nord ? Si oui, l’on peut d’ores et déjà mesurer les conséquences d’une telle option : le nouvel « ordre » régnant dans la région septentrionale du Mali, se décline chaque jour en exode des populations, exécutions sommaires, viols, recrutement d’enfants-soldats, détentions arbitraires, pillages de bien culturels inscrits au patrimoine de l’humanité… Les crimes de guerre sont érigés en programme d’occupation illégale d’un territoire souverain. Ce qui se produit dans cette partie de l’Afrique sous le regard du monde n’est plus seulement une affaire malienne. La menace aujourd’hui active à Tombouctou ou Gao n’est pas dirigée contre le seul Mali. Elle interroge la conscience universelle. S’il fallait donc s’en référer à la hiérarchie des priorités, toute la capacité de réaction de la Cedeao devait s’orienter vers l’éradication de cette menace majeure.
L’obstination de l’organisation sous-régionale à danser une ronde funeste autour du dossier de la crise politique à Bamako, en reléguant au second plan la question de la restauration de l’intégrité territoriale du Mali, apparaît aberrante, superflue, voire suspecte. Mi-juin, le Conseil de sécurité de l’Onu s’est abstenu par deux fois d’apporter son soutien au projet de force d’intervention au Mali présenté par la Cédéao et avalisé par l’Union africaine. Jugeant le document présenté «trop imprécis», les membres du Conseil de sécurité se sont dit «prêts à étudier la requête de la Cédéao une fois que des informations supplémentaires lui auront été fournies quant aux objectifs, aux moyens et aux modalités du déploiement envisagé». Autant dire que la première démarche de «haut-niveau» engagée par la Cédéao auprès de l’Onu, plusieurs semaines après le constat de crise majeure au Mali, fut marquée du sceau de l’improvisation et de l’impréparation. Faudrait-il alors en conclure que la fameuse «communauté internationale» à laquelle s’associe bien trop passivement la Cédéao, a d’ores et déjà décidé de céder durablement, à la manière d’un deal inavouable, cette région de la planète aux fanatiques jihadistes, aux promoteurs de trafics en tous genres et autres édificateurs de zones de non-droit ? Faudra-t-il attendre l’instauration de la charia et de l’état de terreur sur l’ensemble du territoire malien avant que les intelligences régionales et internationales se transforment en pompiers, à l’assaut de ces bandes criminelles qui jurent déjà à qui veut les entendre qu’ils sont «prêts à affronter toutes les armées du monde» ?
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Bonjour Francis,
Les problèmes de fond paraissent parfaitement posés :
1- Incohérence des actions des principales institutions africaines, ce qu n’est pas étonnant quand on constate ce qui se déroule sous nos yeux à propos de l’élection du future Président de la Commission de l’Union Africaine.
2- Indifférence d’une certaine communauté internationale – sauf peut-être la France qui trimbale derrière elle six malheureux otages abandonnés à leur sort – qui nous permet de constater encore une fois que les morts d’Afrique noire pèsent moins que ceux d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient (Syrie)
Cordialement
François Fabregat
Cher François,
Merci de ce commentaire qui contribue précieusement à la réflexion globale sur ce sujet à tout le moins préoccupant, et plus généralement sur le fonctionnement, les objectifs réels et la pertinence de nos institutions.
Amitiés.
Francis Laloupo
@L’auteur: Très bien vu. Et encore, vous êtes carrément clément.
La crise du nord-Mali a mis en évidence l’énorme manque de vision/clarté stratégique des états de la CEDEAO… essentiellement menés pas des régimes plus soucieux de leurs maintiens qu’autre chose.
Si la CEDEAO envisage une opération militaire (en solo ou en coalition ad hoc), elle devrait jetter un oeil aux formidables échecs de la COIN (contre-insurrection) OTANienne en Afghanistan et celle kenyanne-éthiopienne en Somalie. Et ce, d’autant plus que ses moyens militaires sont aussi ridicules que dérisoires par rapport à ceux de l’OTAN ou des armées est-africaines.
Plutôt que tirer dans le tas (et donc épargner autant que possible les populations civiles, j’insiste sur « autant que possible » car des pertes colatérales seront inévitables), elle devra mener une guerre « intelligente, ciblée, optimisée ».
Dès lors, pourquoi ne pas compter sur/avec les Touaregs qui sont les seuls à (très) bien maîtriser tant l’environnement nord-malien que le « terrain tactique » ? La CEDEAO est-elle prête à affronter une guérilla longue et parfois expérimentée (les gars d’AQMI et d’Ansar Eddine ne sont pas nés du dernier vent de sable) en plus d’éventuels et sanglants attentats terroristes dans ses capitales?
Pendant que les afro-diplomates palabrent longuement dans des salles de conférences
feutrées et climatisées, les mouvances islamistes au Nord-Mali consolident leurs positions et les attendent de pied ferme. En réalité, aucune état africain/aucune armée africaine n’était prêt(e) pour un tel choc sécuritaire et stratégique.
Cordialement.
Cher ami,
Merci de votre contribution.
En vous lisant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que vous feriez un conseiller très utile pour nos diplomates de la Cedeao…
Merci d’avoir visité cet espace.
Très cordialement.
Francis Laloupo
Bonjour Francis,
Je te remercie pour ta pertinente et généreuse analyse.
Pertinente, parce qu’elle exprime « les choses » ; généreuses, puisque tu prends soin des sensibilités en jeu.
Aujourd’hui que le MNLA est bouté hors des frontières nationales du Mali, mais reste toujours pressenti ( ? !) par la CEDEAO et l’occident comme un allié sûr, crédible et formé, pouvant déloger ceux qu’il a invités, intronisés et confortés au banquet dont le Mali n’est que l’amuse-bouche, on est fondé à se demander comment et pourquoi cette bande s’est-elle exilée ( ?!) au Burkina-Faso.
Cette situation que je ne commente pas trouve une juste comparaison dans une maxime malienne : « Le chercheur d’aiguille a sans doute posé son pied dessus ! »
Trouvera, trouvera pas ? Allez savoir, mais d’abord survivez et en santé pour le découvrir.
Je me permets de rappeler qu’avant la « démilitarisation contrainte » de la région nord du Mali, chaque militaire malien était tenu, dans le cadre de son plan de carrière, d’y passer au moins 2 ans. Cela s’appelait « le séjour à l’Est », puisque nous ne fonctionnions pas en termes de nord/sud ; il suffit de jeter un coup d’œil à la carte du Mali pour s’en convaincre.
L’Armée du Mali dispose donc de ressources humaines conséquentes, dont des Touaregs, Songhay, Sorkho, Bozo, Bella, Peuhl, Bambara, Soninké, Arabes, Maures, Dogon, connaissant parfaitement cette zone ; c’est le fonds qui manque le moins !
Merci encore et au plaisir de te lire et écouter.
Prends-soin de toi et de notre radio.
Kechéri
A reblogué ceci sur Michelduchaine and commented:
Faire le point sur le sujet de la drogue et son commerce.