Même dans les plus vieilles démocraties, l’alternance au sommet de l’Etat agit toujours comme une révolution, un moment a-ordinaire, extra-ordinaire. Sentiment d’inachevé et d’amertume pour ceux qui se trouvent contraints de se retirer de la sphère du pouvoir ; émotion quasi transcendantale pour ceux qui y accèdent… Révolution toujours. Pour les jeunes Français de moins de trente ans, l’ambiance de la soirée du 6 mai 2012, après l’annonce de la victoire de François Hollande, restera un ineffaçable souvenir tout au long de leur vie, à l’instar de ce que nous, plus anciens, avons connu un soir de mai 1981.
Cette alternance qui intervient au terme d’une campagne longue, lourde et tendue, aura permis aux Français de faire un choix historique : dans quel pays veulent-ils vivre et voir grandir leurs enfants ? Deux visions de la France se sont affrontées durant cette campagne ; deux visions de la société, dit-on, même si ce terme se trouve souvent galvaudé. Par-delà les débats économiques et économistes, l’important, somme toute, ne résidait pas en un concours de « compétence » entre les deux candidats, mais bien la culture politique que l’un ou l’autre allait promouvoir au sommet de l’Etat. Une culture politique qui constituera l’empreinte et le nouveau contrat du « vivre ensemble » pour les Français appelés à redéfinir, renforcer peut-être, leur destin collectif.
« Je veux être un président qui respecte les Français ». Ces mots de François Hollande résument à eux seuls le contrat moral qu’il a proposé au peuple français durant 400 jours d’une campagne placée sous le signe de la constance. Le socle de cette campagne : une pensée politique patiemment élaborée, une philosophie de la gestion du pouvoir déclinée des mois entiers, à travers ses multiples meetings, avec un souci de pédagogie et une force de conviction sollicitant cette part permanente, infrangible de l’être collectif : l’âme de ses concitoyens. Alors que les adversaires de François Hollande avaient choisi de réduire l’avenir d’un pays à la fatalité économique, François Bayrou, président du Modem, décidait à la veille du scrutin de voter, à titre personnel, pour François Hollande, au nom des « valeurs qui fondent la nation française ». Commentaire du très estimable André Bellon, président de l’Association pour une Constituante : « Par ce geste, quelqu’un proclame que la défense des principes humanistes ne doit pas céder devant le respect des règles économiques ». La parole de François Hollande s’est adressée, non pas à l’univers désincarné de la finance, mais à l’âme de ses compatriotes. C’est cette part du peuple, qui survit à toutes les fatalités, qui a répondu à son appel.
Le contrat de vérité de François Hollande – conjuguant les exigences économiques de l’heure et la sauvegarde des « valeurs qui fondent la fierté et la dignité d’un pays » – était devenu une urgence à une époque où les citoyens n’attendent pas de leurs dirigeants d’être des démiurges, mais bien les garants d’un ordre moral, d’une culture et d’un destin partagés par une communauté nationale qui doit reprendre confiance en elle-même, retrouver la confiance envers ses élus appelés à inventer, en s’inspirant des aspirations citoyennes, de nouvelles formes de vie et d’avenir partagés.
Confiance… Cet autre mot, omniprésent dans la profession de foi de François Hollande… D’où cette question : qu’attendre de cette alternance ? Rien… Et en même temps, beaucoup… Restauration de la confiance entre les citoyens d’un pays et leurs élus, capacité de ces citoyens à renouer avec la confiance en eux-mêmes. Réapprendre à s’aimer, à ne plus douter de son destin, et surtout à ne plus avoir peur. Au soir de l’élection, Ségolène Royal estimait que « les Français ont choisi l’espoir contre la peur ». Après cinq ans de discours politiques au sommet de l’Etat agitant l’imminence de tous les périls, désignant des ennemis imaginaires et des menaces invisibles contre « l’identité nationale », après tous ces discours faisant d’une crise économique l’alpha et l’oméga du destin des peuples, inoculant dans les interstices du corps social des motifs anxiogènes, la France, que j’ai observée depuis des décennies, s’est trouvée au bord de l’épuisement, doutant d’elle-même, tentée de s’en remettre aux hypothèses aventureuses et aux vents mauvais de l’extrémisme. Il faut bien le dire : c’est sur ce sentiment de l’imminence d’une guerre que le régime de Nicolas Sarkozy – marqué, par ailleurs, par un inquiétant culte de la personnalité – a choisi de surfer, à la manière d’une dangereuse roublardise, afin de maintenir sa position et ses avantages. La France divisée au terme d’un mandat producteur de clivages, cette France si souvent brutalisée, incitée depuis des mois à se dresser contre elle-même et contre des boucs émissaires… c’est cette France qui aura donc choisi de confier son destin à celui qui n’a cessé de proposer « l’apaisement ».
Restaurer la confiance et l’apaisement social, réconcilier, réunir, rassembler et remettre en route la France avec toutes ses forces vives : tel fut l’objectif au cœur de la candidature de François Hollande. La question n’est plus de savoir ce qu’il faut attendre du nouveau pouvoir élu. Mais bien, pour les Français, celle de savoir comment, ensemble et avec leurs dirigeants, reconstruire ce pays et inventer de nouvelles promesses d’avenir, dans la confiance. Et au nom aussi de cette autre valeur partagée : la solidarité… A la veille du second tour de l’élection, François Hollande rappelait : « La campagne que j’ai menée depuis des mois doit ressembler à la prochaine présidence. Elle a été volontaire, digne fraternelle, rassembleuse… Je veux que le prochain président de la République soit volontaire, digne, fraternel, rassembleur ». Ce soir du 6 mai 2012, alors qu’un air de révolution gagne la France entière, de nombreux amis m’ont envoyé des messages d’Afrique, d’Europe, et d’ailleurs. Quelque chose s’est produit ce soir en France : ce pays est redevenu aimable aux yeux du monde. Au nouveau chef de l’Etat de transformer, durant son mandat, ce capital en succès.
WordPress:
J’aime chargement…
Articles similaires
merci Francis votre émission le Débat nous cultive énormement.Ne changer rien continuer à nous faire réver;
Merci de ce stimulant message, cher Reise Kaya.