Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

Mbalax tragique à Dakar

Durant ces dernières semaines, le président Abdoulaye Wade a sillonné le pays, multiplié des discours que plus personne n’écoute, soucieux de prouver au monde que sa santé défie les lois de la nature, malgré son âge, quatre-vingt cinq ans, officiellement. Celui que nous avons qualifié dans cet espace, il a quelques semaines, de « Mugabe de l’Ouest » conclut sa carrière de politicien professionnel par une campagne électorale hors du temps et du réel. C’est le spectacle aussi surréaliste que burlesque d’un artiste convaincu de sa surhumanité. Ce qui se produit actuellement au Sénégal tient à une seule et terrible réalité : la volonté d’un homme, qui s’est toujours estimé au-dessus du commun, de démontrer jusqu’au bout de sa nuit, que la destinée de son pays est consubstantielle à la sienne. Il y a du pathétique dans cette aventure solitaire : au moment où le quasi-nonagénaire est rappelé aux outrages du temps, son regard, égaré et triste, trahit son refus obstiné de concevoir et projeter, dans son esprit confus, un Sénégal affranchi de son emprise.

Le drame auquel l’on assiste était tellement prévisible… Wade aurait-il pu épargner à son peuple cette crise politique, avec, déjà, son lot de blessés et de morts ? A-t-il délibérément choisi d’engager ce bras-de-fer avec ces concitoyens, quitte à exposer son pays au pire ? La réponse est oui… Cette dernière danse de Wade – l’ultime mbalax de sa carrière – fut pensée, orchestrée, puis livrée avec une détermination et un cynisme monstrueux. La correspondance adressée au président de l’Union africaine, quelques jours avant la validation – elle aussi orchestrée – de sa candidature contestée, constituait l’une des pièces justificatives de l’ordonnancement méthodique d’une crise qui devait permettre à cet homme de se maintenir au pouvoir, à vie. Un coup d’Etat constitutionnel en règle, une forme de guerre engagée à l’encontre de son peuple pour une captation définitive du pouvoir. A travers le monde, de nombreux journaux ont titré, à la veille de la pantalonnade qui tiendra lieu d’élection au Sénégal le 26 février : « Wade, président à vie ». Cruelle conclusion pour celui qui aura, durant sa présidence, administré des leçons de bonnes pratiques politiques et de démocratie à ses pairs africains… D’ailleurs, le silence assourdissant des chefs d’Etat du continent vis-à-vis de cette crise est révélateur de la distance qu’ils ont décidé d’observer à l’égard de leur homologue sénégalais.

Au terme de sa « campagne électorale », celui qui se présentait naguère, sur la scène internationale, comme l’incarnation de la lutte pour la démocratie, renoue avec le bréviaire des autocrates en déroute. Comme un Mobutu lâché, à la fin de son règne, par les Américains qu’il avait longtemps servi comme un bon soldat, Wade emprunte les accents populistes et les formules consacrées pour fustiger les « Occidentaux » qui ne s’avisent plus à cautionner son aventure : « Je demande aux Occidentaux de respecter le Sénégal et les Sénégalais »… Pourtant, l’on sait qu’il se tournerait, sans la moindre hésitation, vers ces mêmes pays occidentaux, pour demander l’asile sur leur sol, si jamais les Sénégalais parvenaient à le bouter hors du palais. Misères de la forfaiture…

Pour l’heure, au moment où nous écrivons ces lignes, le décor est, malgré tout, planté pour l’exécution d’une farce ténébreuse : le scrutin présidentiel du 26 février. Un rendez-vous, dans le cercle de feu, de Wade et ses concitoyens. C’est le point d’orgue d’un conflit politique qui déploie ses séquences depuis plusieurs mois, de cette insoutenable dramaturgie voulue et alimentée par le pouvoir sénégalais, l’ultime mbalax d’Abdoulaye Wade, porteur de tous les périls, dans un Sénégal déchiré et blessé.

Il est des danses qui finissent mal. Des farandoles endiablées entamées au crépuscule, et que la nuit transforme, inexorablement, en bacchanales tragiques… Les danseurs, ivres de leurs propres mouvements, incapables de s’arrêter et de ménager leur souffle, finissent de choir sur le plancher avarié de leurs réjouissances équivoques… Certains lendemains de fêtes sont cruels… La dernière danse à laquelle le président sénégalais Abdoulaye Wade a choisi de se livrer avec ces concitoyens, à leur corps défendant, aboutit, ce 26 février 2012, à l’une des plus sombres journées de l’histoire du Sénégal. Une seule question investit les esprits à la veille de ce rendez-vous électoral : à quoi ressembleront les lendemains de l’élection programmée de Wade ?

2 réponses à “Mbalax tragique à Dakar

  1. Electrosphere 1 mars 2012 à 22 h 05 min

    @Mr F.Laloupo,
    Je repense à votre remarquable billet sur « Le syndrome de l’opposant historique ». J’ai adoré la teneur sarcastique mais hautement réaliste.
    Cordialement

  2. mrs sow 22 novembre 2012 à 23 h 50 min

    je suis contente de ce site qui exprime notre situation de notre vie

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