La capitale éthiopienne – la plus élevée d’Afrique, et la quatrième plus élevée au monde culminant à près de 3000 mètres, où les températures d’un été espiègle sont plus proches d’un printemps frileux d’Europe que d’une saison sèche congolaise – accueille depuis le 25 janvier, jusqu’au 1er février 2012, le 18e Sommet de l’Union africaine. Il y a un an, ici même, dans les couloirs du bâtiment accueillant la conférence des chefs d’Etat, nous regardions, diffusées en boucle sur les écrans de télévisions, les images de l’insurrection en Egypte… Après la chute, quelques jours plus tôt du régime de Ben Ali en Tunisie, nul n’imaginait alors l’issue de ces événements. Les responsables de l’Union Africaine manifestement tétanisés face à cette brusque accélération de l’histoire dans le Maghreb, incapables d’émettre alors le moindre jugement, nous avaient confié que « l’organisation panafricaine n’avait pas pour habitude de réagir à chaud à ce type d’événement ». Dans ce contexte, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, avait annulé sa visite, à la dernière minute, à ce Sommet, « pour suivre, disait-on, l’évolution de la situation en Tunisie et en Egypte ». L’observateur le plus inspiré n’aurait alors osé avancer que le régime de Kadhafi, était déjà, lui aussi, dans l’œil du cyclone. On connaît la suite de l’histoire… Depuis, après un discret mais salutaire examen de conscience, les instances concernées au sein de l’Union Africaine, ont engagé, comme nous l’appelions ici-même de nos vœux, un travail rigoureux, en vue d’une mise à jour des méthodes d’approche et de gestion des nouvelles crises politiques qui surgissent sur le continent depuis l’année dernière. L’UA, prise dans la bourrasque et la pression aussi imprévue qu’inédite des crises survenues dans le Maghreb, a su faire montre, à l’issue de la guerre en Libye, de sa capacité – que peu d’entre nous soupçonnaient – à opérer, en urgence et sans complaisance à ce nécessaire aggiornamento qui lui permet aujourd’hui de se présenter de nouveau debout, davantage même renforcée dans ses structures et ses ressources diplomatiques. Toutefois, dans les coulisses du siège de l’organisation, chacun reconnaît volontiers que l’organisation aura connu, en 2011, une saison de tous les dangers… Et, aujourd’hui, un nom a totalement disparu des conversations officielles : celui de Mouammar Kadhafi.
Crise sénégalaise, vue d’Addis Abeba, siège de l’Union Africaine, 28 janvier 2011. L’affaire est sur toutes les lèvres. Hier, la Cour constitutionnelle sénégalaise a validé la candidature du président Abdoulaye Wade, candidat pour un troisième mandat. Une candidature contestée par une majorité de ses concitoyens. Wade a choisi de braver cette volonté populaire, et d’engager l’épreuve de force avec ceux-là même qui l’ont porté au pouvoir il y a douze ans… Le 27 janvier au soir, début des manifestations de protestation dans Dakar, un agent des forces de l’ordre tué, prémisses d’émeute… Il est loin, le temps où la rue se mobilisait pour Wade, alors opposant. Aujourd’hui, c’est cette même rue qui le somme de « dégager ». Télescopage, ici, à Addis Abeba, entre cette actualité sénégalaise et le souvenir des révoltes dans le Maghreb, il y a un an. Bien que ce nouvel épisode de la crise politique qui secoue le Sénégal depuis plus d’un an fût tragiquement prévisible, le malaise grandit…
La présence du président Wade au Sommet des chefs d’Etat à Addis Abéba, les 29 et 30 janvier, a été annulée… Comme Kadhafi un an plus tôt, le président sénégalais a préféré rester dans son pays « pour suivre l’évolution des événements »… Quelques jours plus tôt, le dirigeant sénégalais avait adressé une lettre à Jean Ping, président de la Commission de l’UA, pour lui expliquer le bien-fondé de sa candidature… Il est vrai que quelques mois auparavant, lors de conversations dites « informelles », Jean Ping, rappelait la promesse faite par Wade de ne pas briguer un troisième mandat. Traduisant le sentiment de certains chefs d’Etat, Jean Ping s’inquiétait alors de voir l’entêtement du dirigeant sénégalais provoquer une « crise inutile »…
Provocateur débridé, Wade avait déclaré, quelques heures avant la validation de sa candidature par la Cour constitutionnelle que, non seulement sa candidature était justifiée, mais qu’il se représenterait « même en 2019 » ! Rare défi de la part d’un dirigeant quasi nonagénaire à qui son peuple aura tenté en vain de rappeler cette maxime impérissable de Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »… Sombre fin de carrière pour l’opposant « historique » devenu président, et qui offre à son peuple, comme un ultime tour de piste, le plus grave conflit politique que le pays ait jamais connu.
Côte d’Ivoire sur Seine… Visite à Paris, le 26 janvier, du président ivoirien Alassane Ouattara, juste avant de se rendre au sommet des chefs d’Etat à Addis. Visite très médiatisée à son « ami et frère » Nicolas Sarkozy. Signature d’un nouvel accord de défense, échanges de compliments et d’amabilités… Lourds échanges entre deux personnalités qui semblaient se situer dans une faille de l’espace-temps. Nicolas Sarkozy qui, après avoir exprimé son bonheur de voir la France « enfin accueillir un président démocratiquement élu en Côte d’Ivoire », oubliant gaillardement que la Côte d’Ivoire avait déjà « démocratiquement » élu un président en 2000 en la personne de Laurent Gbagbo, avant le déclenchement de la crise en 2002… Alassane Ouattara qui se fend d’interminables remerciements à cet « homme courageux » sans qui la crise ivoirienne n’aurait pas connu l’issue que l’on sait, le tout avec des accents et des formules rappelant le bon vieux temps de l’amitié franco-ivoirienne chère à Houphouët-Boigny… Cérémonie désuète, protocoles archaïques, consécration insensée et surréelle d’une Françafrique réinventée, et parfaitement inconsciente de sa propre réalité… Et pour couronner le tout, le président ivoirien émet, à mots à peine couverts, le vœu de voir son « ami et frère » remporter la prochaine élection présidentielle en France. On atteint à l’ (h) énorme !… Tellement énorme que tout ceci ne suscite au sein des opinions qu’un fugace sentiment de stupeur, à défaut d’une totale indifférence.
A part ça… Que faire des pouvoirs islamistes issus des urnes post-révolution en Tunisie et en Egypte ? Après avoir disserté depuis des semaines sur le respect du choix et de la volonté des électeurs, il nous faut bien prendre acte de cette réalité qui étend son empire dans ces pays : la volonté des vainqueurs des urnes de détourner cette séquence démocratique au profit de leur sombre projet « islamiste » et d’anéantir le rêve d’une société démocratique et laïque à laquelle certains – les plus jeunes souvent – tentent encore désespérément de croire. Il est temps de s’inquiéter sérieusement de la prise du pouvoir et de l’occupation du territoire social et citoyen par ces sombres déglingués du ciboulot se réclamant d’un dieu inventé pour les besoins d’un inextinguible délire. En Egypte, ces vainqueurs d’élections estiment désormais que les femmes non voilées sont passibles de sanctions pour « acte de pornographie ». En Tunisie, l’on ne juge pas les dingues de dieu qui ont saccagé les bâtiments d’une chaîne de télévision ayant diffusé le film « Persépolis » dont le thème et la trame ne sont pas du goût des gardiens d’un islamisme passablement exterminateur. C’est le propriétaire de cette chaîne, dont le domicile a par ailleurs été incendié, qui a été convoqué devant les tribunaux pour être jugé. Motif de ce procès, selon l’un des juges : l’homme aurait commis un acte attentatoire aux préceptes divins…
Amers lendemains de « printemps arabes » en Tunisie et en Egypte où, après l’euphorie des journées de révolution, les partis d’obédience islamiste viennent de conquérir leur droit et le pouvoir dans les urnes… Si l’on n’ose pas encore parler de républiques islamiques – le spectre de l’Iran demeure insoutenable -, la Tunisie et l’Egypte apparaissent néanmoins à l’heure actuelle, compte tenu de la configuration des pouvoirs, comme des républiques à « tendance islamisante ». Faut-il alors dénier à ces ennemis de la liberté la fameuse « légitimité issue des urnes » ? Non, certainement. Il revient à ceux qui les ont élus, et qui déjà s’en plaignent, de procéder à leur examen de conscience et d’inventer leur propre protocole du refus. Nul ne le fera à leur place. Et nul n’en a, d’ailleurs, le droit. En revanche, l’on ne saurait nous interdire de dénoncer ces funestes islamismes, ennemis de la liberté des « autres », dictateurs d’un ordre mortifère, psychopathes chafouins « sociabilisés », architectes de l’intolérance, producteur d’une terreur codifiée dirigée à l’encontre de tout être se situant hors de leur tyrannique « vérité ». Nul doute qu’en Tunisie comme en Egypte, l’irruption de cette terreur islamiste sur la scène politique, après la fin des dictatures de Ben Ali et de Moubarak, marque un épisode, un de plus dans ces révolutions inachevées. Dans ces pays, l’histoire de ces révolutions reste encore à écrire.
A part ça… Il n’est jamais inutile de rappeler deux raisons historiques qui ont amené les « pères de l’indépendance » africaine à installer à Addis Abeba, le siège de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), ancêtre de l’actuelle Union africaine (UA). D’abord, la décision de l’empereur Hailé Sélassié – tyran et visionnaire – d’associer fermement son pays au panafricanisme émergent ; puis dans un second temps, le consentement unanime des dirigeants africains de voir l’organisation établir « dès l’origine et pour toujours », son siège historique dans un pays ayant échappé à la domination coloniale, et, par conséquent, préservé des contradictions inhérentes aux parcours postcoloniaux. C’est ainsi qu’il fut jugé juste et bon d’ériger à Addis Abeba la maison de l’Afrique. Le 28 janvier 2012, lors de l’inauguration du nouveau siège de l’organisation panafricaine, face aux bâtiments « historiques », le premier ministre éthiopien Meles Zenawi s’est montré, à travers un discours très remarqué, l’héritier et le continuateur d’une histoire, celle « d’une Afrique qui, après avoir désespéré d’elle-même, amorce lucidement sa renaissance ».
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