Deux géants dominent la scène politique africaine : l’Afrique du Sud et le Nigeria… A mesure que s’éloigne dans le temps le souvenir de l’apartheid, le premier se révèle peu à peu aux opinions dans sa réalité nue : un géant économique aux pieds d’argile, et à la diplomatie défaillante. Quant au second, puissant mais jamais envié, il s’applique à consolider son armature, sans démonstration et sans éclat, pour devenir, bientôt, ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le véritable pôle de gravité de la confédération potentielle des Etats d’Afrique. Avant d’aborder dans un prochain texte le « retour » du Nigeria*, nous vous proposons ici un regard de l’intérieur du continent, sur l’Afrique du Sud…

Quel est l’état économique du pays aujourd’hui, vingt ans après la chute du régime de l’apartheid ? Une démocratie jugée exemplaire, dont les structures et le mode de fonctionnement font pâlir les « vieilles démocraties ». Sur le plan économique, un taux de croissance de 5% depuis 1998, notamment grâce à la diversification des produits d’exportations… L’Afrique du Sud, devenue le premier partenaire africain de la Chine, entretient avec le Brésil des liens commerciaux privilégiés. Depuis avril 2011, elle a rejoint le club très courtisé des pays émergents, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa). Question : cette adhésion aux BRICS aura-t-elle pour effet de faire décrocher l’économie sud-africaine de celles du reste du continent, ou, à l’inverse, renforcer sa place dans l’espace économique africain ? Réponse dans quelques années…
Alors que les promesses économiques sont tenues, le bilan social demeure une hypothèque sur l’avenir… Les dirigeants de l’Afrique du Sud post-apartheid, issus d’une culture politique socialiste, voire communiste, se sont coulés dans le moule de l’économie libérale, avec son corollaire : de criantes inégalités sociales… Résultat : un taux de chômage atteignant les 40% chez les jeunes urbains qui dénoncent de plus en plus fortement ces inégalités, stigmatisent l’échec des « anciens » du parti historique ANC, et n’hésitent plus à désigner les frontières raciales comme la source de leurs maux… Certains parmi ces jeunes, qui accusent les dirigeants d’être devenus des « traîtres à la solde de l’impérialisme blanc », ne se reconnaissent plus dans la ligne adoptée par la génération Mandela, au lendemain de la fin de l’apartheid. Pour ne rien arranger, les querelles picrocholines se multiplient au sein d’une ANC surannée, incapable de s’adapter à la culture d’une jeunesse impatiente et passablement énervée… Le creusement des inégalités devient la principale menace pour le fragile équilibre de la Nation arc-en-ciel telle que Mandela l’a rêvée…
Vingt ans après la fin de l’apartheid, quel est bilan de l’intégration politique de l’Afrique du Sud dans le concert des nations africaines ? Les différentes déclarations et prises de positions dans les crises sur le continent pourraient prêter à sourire, si elles ne se fondaient sur une équation, cultivée par l’exécutif sud-africain : la certitude d’une suprématie politique consubstantielle à la puissance économique du géant sud-africain. Après l’arrivée au pouvoir de Thabo Mbeki, et à mesure que le pays émettait sa « parole officielle » sur la scène politique africaine, en s’associant à la diplomatie continentale, le doute enflait dans les esprits. Doute aujourd’hui installé avec Jacob Zuma. Une équation qui a amené les successeurs de Nelson Mandela à se projeter sur les théâtres de conflits en Afrique, avec des méthodes de résolution puisées dans un étrange logiciel où l’interprétation hasardeuse des faits alimente les déclarations et positions amphigouriques.
Ces dirigeants sud-africains, occupés autrefois – on le comprend – durant des décennies à combattre dans leur pays le régime du crime absolu, ont découvert, sans transition, le « reste de l’Afrique » après la chute du régime de l’apartheid, en 1991… Nelson Mandela avait, dans sa grande sagesse, adopté durant son mandat, vis-à-vis d’un continent que son combat et les années de détention l’avaient empêché de connaître sensiblement, une attitude attentive, mais essentiellement empreinte d’humilité et de prudence. Une attitude aux antipodes de celle adoptée par ses prédécesseurs. Thabo Mbeki, puis Jacob Zuma, plus fortement sollicités par la nécessaire intégration de leur pays au reste du continent, ont multiplié les maladresses, les faux-pas, mais sans jamais s’inspirer de cette féconde humilité qui caractérisait le père de la nation arc-en-ciel. En même temps que leur pays déployait, avec succès, son offensive économique en direction des pays continent (Chine, Inde, Etats-Unis), et que les grandes entreprises sud-africaines démontraient leur puissance de frappe, les dirigeants se sont convaincus sans délai, et avec une dose non négligeable d’arrogance, que leur « parole » sur la scène politique africaine pouvait peser du même poids que leur capacité économique…
Alors que la médiation dans les situations de crise apparaissait comme la voie royale vers une intégration optimale de la « nouvelle » Afrique du Sud au reste du continent, les successeurs de Mandela se sont singularisés, depuis dix ans, par leur propension à projeter sur les situations leur culture politique spécifique, issue de leur lutte ancienne. Une culture certes respectable, mais pas forcément transposable à l’ensemble du continent. Là où Mandela évoquait la « complexité », ses successeurs ne voient que le prolongement de leur propre histoire, de leur seule mémoire. En Côte d’Ivoire, Thabo Mbeki, puis Jacob Zuma succomberont à la musique de Laurent Gbagbo qui est parvenu à les rallier à l’idée que la crise ivoirienne se résume à « son combat contre l’impérialisme français ». Une grille de lecture parfaitement compatible avec le logiciel de ces deux produits de l’ANC pour qui tout conflit en Afrique impliquant des acteurs occidentaux se conçoit, avant tout, comme une « lutte légitime de l’Afrique contre l’oppresseur blanc ». Ainsi, le pire despote africain est absous de tous ses forfaits, dès lors qu’il affirme agir pour la « juste cause », à savoir le combat contre « l’impérialisme occidental ». C’est sous l’empire de ce logiciel que Mbeki et Zuma ont accordé toutes les indulgences au Zimbabwéen Robert Mugabe. C’est fort de cette « conviction » que Zuma a fait retarder plusieurs résolutions qui auraient pu écourter le calvaire des Ivoiriens, pris dans l’enfer d’une crise postélectorale. C’est cette même structure de pensée qui explique l’obstination de Zuma à soutenir jusqu’à l’aberration, lors de la crise libyenne, l’improbable « résolution » de l’Union africaine que nul ne songe plus, aujourd’hui, à défendre dans les couloirs du siège de l’UA à Addis Abeba…
Avec une pratique diplomatique désuète, qui a pris en marche le train de l’Afrique avec des lunettes de la Guerre froide, la plupart des initiatives diplomatiques sud-africaines – médiations, tentatives de résolutions de conflits – se sont, jusqu’ici, soldées par des échecs cuisants et successifs, dus à de grotesques erreurs d’appréciation des situations sur un continent sur lequel les sud-afs projettent des schémas anachroniques… Confrontés à diverses situations dont la complexité nécessite des solutions toujours adaptées et spécifiques, les successeurs de Mandela se sont, jusqu’ici, contentés de brandir le même et intangible principe de la lutte contre l’impérialisme. A force d’opposer ce logiciel invariable à toutes les situations, le salutaire postulat de « l’Afrique aux Africains » se réduit à l’expression du degré zéro de la politique, sans portée et surtout sans effet. Plus compliqué, plutôt que de se mettre à l’école de l’Afrique, ces représentants de la « puissance sud-africaine » se sont mués en donneurs de leçons, péremptoires et fiers de leur bon droit : celui d’instruire les autres Africains sur les tenants et aboutissants de la seule « cause africaine » qui vaille, à savoir la lutte contre l’Occident chafouin. Pourtant, dans le cadre de sa politique intérieure, l’Afrique du Sud considère plus que jamais les Etats-Unis d’Amérique comme son « meilleur allié stratégique », et s’accommode sans état d’âme de ce paradoxe emblématique…
Envers contre tout, l’Afrique du Sud poursuit son offensive diplomatique sur le continent, et s’active à démontrer son influence, notamment à l’échelle sous-régionale au travers de la SADC (Communauté des Etats d’Afrique australe)… Les dirigeants sud-africains aiment à rappeler que leur pays est le seul en Afrique à disposer d’une armée « digne de ce nom au service de l’Union africaine »… Le pays de Mandela proposera, en janvier 2012, une candidate à la présidence de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, actuellement ministre de l’Intérieur et… ex-épouse du président Jacob Zuma. Une candidature pour remplacer à la tête de la Commission Jean Ping, lui-même candidat pour un deuxième mandat. La candidature sud-africaine est jugée « sérieuse », car, malgré tout, le pays de Mandela bénéficie toujours d’un confortable capital moral sur la scène africaine. Et ce, malgré les critiques formulées à l’encontre de sa diplomatie.
Face à des situations africaines forcément complexes, l’Afrique du Sud a souvent confondu puissance économique et influence politique… Et l’on entend souvent dire que « son ambition diplomatique se heurte à sa méconnaissance de l’histoire politique et des cultures du continent »… Les plus indulgents estiment que « l’Afrique du Sud s’est souvent trompé, mais de bonne foi », et qu’il faut « lui laisser le temps de revenir entièrement à l’Afrique »… Pour cela, ses dirigeants devront peut-être renouer, d’urgence, avec l’humilité de la puissance.
* A suivre prochainement : « Nigeria is back »
WordPress:
J’aime chargement…
Articles similaires