Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

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Le corridor du pire

Il y a quelque temps, je me suis retrouvé avec l’inénarrable Eric Raoult sur un plateau de télévision pour débattre de la chasse aux étrangers opérées devant les objectifs des caméras de télévisions, juste après l’élection de Nicolas Sarkozy. J’avais à peine pris la parole que le député UMP (parti sarkozyste) tranchait sec : « Je ne vous permets pas de parler ainsi de MON pays !»…

L’invective était programmée, ciblée : en tant que Noir, je ne pouvais, selon lui, que proférer des propos hostiles contre SON pays. Interloqué par cette saillie imbécile, je mis quelques longues minutes à réaliser à quel point cet homme politique s’était dégradé, au fil de sa carrière, en s’exilant dans un « nationalisme » caricatural dressé contre le reste du monde. Objectif pathétiquement obsessionnel : exister politiquement. Une posture qui suscite, jusque dans son camp politique, raillerie et commisération.
C’est le même Raoult qui s’est indigné récemment des propos tenus par l’écrivaine Marie Ndiaye, Prix Goncourt 2009, jugeant « monstrueuse » la France de Nicolas Sarkozy… Pas tourmenté par la honte, Raoult réclame un « devoir de réserve » à cette femme à qui, dit-il, « NOUS avons donné le prix Goncourt ». Et d’enfoncer le clou en indiquant que « par comparaison, Yannick Noah et Lilian Thuram n’étaient pas allés aussi loin dans la critique de la France ». Commentaire indigné du maire de Paris, Bertrand Delanoë : « Serait-ce donc la couleur de leur peau qui inspirerait ce ‘rappel à l’ordre’? »
Cela dit, même si les sorties de Raoult relèvent du drame de la bêtise, elles s’inscrivent dans le territoire devenu fécond des fantasmes ethnico-raciaux qui polluent actuellement le climat social en France. En associant dans le même élan Marie Ndiaye, Lilian Thuram et Yannick Noah, Eric Raoult active un sous-entendu récurrent : ces Français noirs sont forcément des « Français à part ». A l’heure où le pays s’agite dans un débat sur « l’identité nationale », les propos d’un Raoult alimentent donc un subconscient embarrassé : comment être français, noir, ou arabo-musulman ? Dans un pays où des commentateurs présentent Barack Obama comme un « immigré intégré » (ce qui provoque l’hilarité des Américains), où le ministre de l’Intérieur lâche en public de douteuses plaisanteries sur les arabes, où le ministre de l’immigration annonce la chasse aux « mariages gris » et où les citoyens non Blancs sont soumis au protocole compassionnel de la « diversité »… le sieur Raoult apparaît comme l’agent subalterne d’une redoutable offensive du pire.

(24 novembre 2009)

« Magic » Chirac

Epatante, la France des paradoxes ! Celle des sondés, des journalistes, des politiques de tous bords et autres commentateurs enfiévrés célébrant ces jours-ci l’ex-président Jacques Chirac, élu « l’homme le plus aimé des Français ». Dans le même temps, l’homme ainsi porté au pinacle se trouve poursuivi par la justice de son pays, soupçonné de graves malversations que la morale convenue condamne allègrement par ailleurs.

S’agit-il du même homme que son successeur Nicolas Sarkozy a qualifié de « roi fainéant », évoquant ses deux mandats (de 1995 à 2007) dont on ne trouvera nulle trace dans les annales des prouesses politiques ? Ceux qui le vénèrent aujourd’hui ont bien du mal à énumérer les hauts faits de sa présidence dont le bilan se résume, à les entendre, au seul refus de faire participer la France à l’expédition américaine en Irak. Très fort, Chirac ! Deux mandats durant lesquels il se sera d’abord confortablement réfugié dans les délices d’une cohabitation avec le socialiste Lionel Jospin avant de provoquer le trépas politique de ce dernier – qui s’était pourtant ardemment attelé à la besogne – à l’issue de la présidentielle de 2002. Une victoire sans coup férir, avec le score le plus élevé et invraisemblable de toute l’histoire de la République française (82,21% des voix face au candidat du Front national). Une telle baraka relève de la prestidigitation ! Lui reste plus qu’à marcher sur l’eau ! Redevenu citoyen ordinaire, il crée une fondation qui condamne le marché criminel des faux médicaments. Et la presse applaudit le « courage » d’un homme qui découvre qu’il fait jour à midi ! Mais on ne saurait contredire les Français qui expriment leur reconnaissance à cet ex-président qui a su, selon eux « incarner la France ». Chirac ne fait pas qu’incarner le paradoxe français, il EST le paradoxe français. Capable même de susciter la ferveur des foules en Afrique, lors de son récent séjour sur le continent – il y est allé « vendre » sa fondation – où il fut reçu comme un grand homme, un héros en somme. Sur ce continent que Chirac considérait comme inapte à s’engager dans la voie de la démocratie, alors même que ces peuples auraient tant à lui reprocher, la même question se pose : comment comprendre cet amour que lui témoignent ses hôtes africains ? Là aussi, comme en France, l’affaire défie la raison ordinaire. « Magic » Chirac est une énigme franco-africaine.

(13 novembre 2009)

Identité française

Le gouvernement français vient donc de lancer un « débat national » sur l’identité française ! A croire que cette identité est devenue tellement floue, volatile… qu’il faut d’urgence en redéfinir les contours et le contenu. Mieux la protéger contre tous les assauts mauvais. Et quelle serait cette menace fantôme ? L’immigration, bien sûr.

Même si Eric Besson, le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, use désespérément de mille contorsions verbales pour dissocier ces deux termes. Véritable kermesse de l’inutile, l’initiative du ministre débouchera, tout au plus sur… un discours. Qui rappellera les vertus de la République et de l’inaltérable « francitude ». L’on pense forcément aux heures de gloire du sinistre Front national, lorsque son président, Jean-Marie Le Pen, mettait en garde le peuple français contre ces « hordes d’immigrés venus du Sahara pour nous coloniser et engrosser nos filles ». La lepénisation rampante des esprits a rendu « légitime » la prise en compte par une droite républicaine du corps étranger attentatoire à l’identité française.
Vu d’ailleurs, l’affaire prête à sourire. La France, ex-nation colonisatrice et exportatrice de sa culture, serait donc aujourd’hui, le seul pays de la planète dont l’identité serait exposée au péril ? Dans cette France qui produit ses propres peurs, comment distinguer, dans ce « débat », le fantasme assimilationniste – et la nostalgie d’un improbable modèle dominant – de la nécessité de lutter contre les ségrégations ? Comment séparer les arrière-pensées politiciennes de la juste promotion de la nation, et de l’adhésion aux valeurs de cette République ? Sans compter que les plus menacés quotidiennement en France sont ceux-là mêmes qui, tout en étant français, ne sont pas reconnus comme tels, du fait de la couleur de leur peau ou de l’origine de leur patronyme… On peut se demander à quelles fins des intelligences se mobilisent au sommet de l’Etat pour un sujet qui ne constitue pas une priorité, eu égard aux mille difficultés qui taraudent le pays.
A-t-on besoin d’une telle publicité pour, si besoin est, rappeler et fortifier ce qui a toujours constitué le socle et la dynamique des identités collectives, à savoir des valeurs partagées dans la diversité ? On appelle cela une nation. Dans toutes les régions de l’Hexagone, cette diversité nationale, aussi vivante qu’insondable, relève de l’évidence, et ne saurait, ici comme ailleurs, être soumise à la démonstration, et moins encore à une police ou un certificat de conformité.

(4 novembre 2009)

Misère sorcière

L’exploitation de la misère est devenue l’une des valeurs sûres de notre époque, pour ceux qui savent travailler dur à sa pérennisation. Ainsi a-t-on vu fleurir quantité d’organismes, de filières, de réseaux, de « projets » et autres œuvres charitables dont la prospérité n’a d’égale que l’irrésistible expansion de cette misère que tous disent combattre. C’est sur ce terreau que furent érigées les nouvelles églises évangélistes qui se multiplient à travers le continent.
Dans la seule région de l’Etat d’Akwa Ibom au sud du Nigeria, les églises sont plus nombreuses que les écoles, cliniques et banques réunies. Une pandémie spirituelle dont la nature échappe aux compétences de l’Organisation mondiale de la santé…

Au nom du sacro-saint principe de la liberté religieuse, ces entreprises à but très lucratif parées du voile trompeur de l’action spirituelle, se sont hissées au rang des grands bénéficiaires-organisateurs de la misère endémique, recrutant essentiellement leur clientèle parmi les couches les plus défavorisées de la population. Grands architectes de la manipulation des consciences, ces Docteur Folamour de l’âme instrumentalisent le désarroi des citoyens fragilisés par la démission des politiques. Jouissant d’une totale impunité, si ce n’est de la complicité des autorités publiques, nombre de ces « églises » se livrent une virulente concurrence.
Ainsi ont-elles trouvé, au sein de sociétés africaines chamboulées, l’élément référentiel de leur « puissance » comparative : la destruction des enfants dits « sorciers ». On ne compte plus les histoires d’enfants, issus de familles extrêmement pauvres, accusés de sorcellerie par des pasteurs et voués au trépas à la suite d’improbables séances d’exorcismes. Accuser des enfants de sorcellerie est devenu un moyen pour ces pasteurs autoproclamés de se faire une réputation et attirer les fidèles. Une enquête vient de révéler l’implication de plusieurs « églises » évangélistes dans ces affaires, dont la fameuse « Mount Zion Lighthouse » (Phare du mont Sion) installée au Nigéria. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), plusieurs dizaines de milliers d’enfants ont été pris pour cible à travers le continent. Il devient plus qu’urgent de considérer ce phénomène comme l’un des fléaux majeurs de l’époque. Continuer de se taire équivaudrait à cautionner une entreprise d’assassinats massifs d’enfants. Plus encore, il est temps d’agir contre ces vulgaires criminels qui ont su détourner impunément à leur sinistre profit, aux dépens des plus faibles, les principes de la liberté de conscience.

(22 octobre 2009)

Mariage franco-tchadien

Le rapport du ministère français de la Défense sur les exportations d’armements en 2008, rendu public il y a quelques jours, indique que le Tchad est l’un des meilleurs clients de l’Hexagone. Mieux, en 2008, les ventes d’équipement militaire français au Tchad ont progressé de 50%. Montant estimé de ces recettes : 13 millions d’euros. Pas mal, pour un pays délabré, où la quasi-totalité de la population est confrontée depuis près de deux décennies à toutes les déclinaisons imaginables de la misère et du dénuement.

Le cynisme le dispute à l’extravagance lorsque l’on sait que cette montée de la courbe des ventes d’armes françaises au régime de N’djamena coïncide avec l’appui apporté par Paris à l’armée gouvernementale tchadienne lors des affrontements entre cette dernière et les troupes rebelles en février 2008. A l’époque, ce soutien de Paris à un régime classé parmi les plus infréquentables de la planète, avait ému ceux qui s’échinaient encore à rechercher une cohérence entre la « rupture » prônée par le nouveau locataire de l’Elysée et la permanence ainsi démontrée d’une politique française en Afrique aux allures crépusculaires. La réponse est définitivement apportée par ces chiffres qui révèlent à souhait que pendant la « rupture », les bonnes affaires continuent en Afrique, ce dernier Far-West des temps modernes.
De plus, il faut noter qu’en acceptant de livrer, sans compter, des armes de diverses catégories à ce pays, Paris se détourne sans le moindre scrupule du « code conduite » adopté en décembre dernier par les 27 pays de l’Union européenne, qui se sont engagés à « ne plus vendre d’armes dont l’usage pourrait participer à de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, ou porter atteinte au développement économique ». Et point n’est besoin de diligenter des enquêtes sophistiquées pour reconnaître que le pouvoir du président Idriss Déby Itno est le pire ennemi de son propre peuple.
Mais il ne faudrait pas pour autant espérer que, dans ce contexte, les instances européennes émettent une condamnation à l’encontre de la France. La diplomatie de l’ombre continue d’admettre que ce territoire tchadien relève d’une diplomatie « privative » de Paris. Une manière de dérogation en somme, qui autorise les dirigeants français à maintenir leur soutien à Idriss Déby Itno qui assure à qui veut l’entendre que la France sera toujours à ses côtés. Au mépris de la volonté des citoyens tchadiens. Vous avez dit « rupture » ? Quelle rupture ?

 (15 octobre 2009)

Le piège afghan

Mettre fin à la présence militaire américaine en Irak, et intensifier l’engagement en Afghanistan. Ainsi s’articulait la prise de risque politique du candidat Barack Obama, face à son adversaire John McCain. Les deux hommes avaient en commun de briguer la pire succession qui soit : la guerre en héritage. Au terme de la campagne, Obama aura donc su convaincre une Amérique déboussolée par les aventures guerrières de Bush et les signes multiples d’une défaite inéluctable.

Le postulat d’Obama, qui relevait à la fois de la stratégie de campagne, du pari politique et d’une conviction personnelle pourrait devenir, à l’épreuve de la réalité et du pouvoir, son pire cauchemar. Dans la perspective de l’héritage de deux guerres, l’Etat major de campagne d’Obama fut, un temps, fortement divisé, entre, d’une part, les « anti-guerre » qui préconisaient le double retrait d’Irak et d’Afghanistan, et d’autre part, les « real-politiques » qui préféraient ne pas se mettre à dos une partie de l’opinion traumatisée par les attentats du 11 septembre 2001.
A cet électorat, attaché à une « Amérique forte », il fallait donner le gage de la continuité d’une revanche contre les ennemis de l’Amérique. Le postulat d’Obama – retrait d’Irak et engagement continu en Afghanistan – résultait donc d’un compromis politique. C’est ce choix, à la fois tactique et éminemment précaire, qui avait contraint le camp adverse de John McCain à radicaliser sa position, au risque d’apparaître comme un double va-t-en-guerre de George Bush. Aujourd’hui, le président élu mesure la double difficulté d’un retrait rapide des troupes d’Irak, et d’une justification renouvelée de l’engagement en Afghanistan. Confronté à la comptabilité macabre des soldats tués au sein des troupes américaines et coalisées en Afghanistan, et aussi à l’échec d’un dispositif politique installé à Kaboul au nom de la « démocratie » aujourd’hui discrédité par la corruption et la fraude électorale, Obama est un homme seul, piégé par l’héritage de la guerre.
Face au scepticisme des Démocrates et à la pression revancharde des Républicains, voilà un Obama renvoyé à la position inconfortable d’un compromis impossible : trouver la juste solution entre les partisans de la guerre éternelle et ceux qui réclament le retrait urgent de ce nouveau « Vietnam ». Le Commandant in Chief est confronté à une expérience, vieille comme l’histoire des hommes : la solitude du pouvoir. Mais pour surmonter l’épreuve et poursuivre sereinement le chemin, la voie a rarement été aussi étroite.

(10 octobre 2009)