Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

France-Rwanda : le tunnel des mémoires

Doit-on réellement s’étonner des accusations renouvelées contre la France par le président du Rwanda, Paul Kagamé ? Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire « Jeune Afrique » à la veille du début des commémorations du 20e anniversaire du génocide, le dirigeant rwandais a souligné, une fois de plus, « le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution »… Durant ces vingt dernières années, le pouvoir de Kigali a, à maintes reprises, pointé du doigt les responsabilités de la France dans le troisième génocide du 20e siècle, le premier sur le sol africain. Une lecture de l’histoire toujours contestée par Paris, à coup de déclarations indignées, de commissions d’enquêtes et d’instructions judiciaires variables. Mille fois entendue, cette réplique aux accents définitifs des responsables français : « La France n’a pas à rougir de son rôle au Rwanda ». Alors que Paris comptait sur le temps et l’usure des mémoires – et peut-être aussi du pouvoir de Kigali – pour consumer l’ardeur des accusateurs rwandais, ces derniers, au nom du devoir de mémoire, n’ont jamais cédé à la tentation de travestir ce qu’ils estiment être, depuis les lendemains de la tragédie absolue, une mémoire douloureuse partagée, participant de leur récit national. Et, pour ces Rwandais, le rôle joué par la France avant et pendant le génocide est indissociable de ce récit national.

La rancune installée entre les deux pays aura eu pour conséquences la rupture des relations diplomatiques et les cycles de tension qui ont réduit à néant les relations traditionnelles entre les deux pays. Peu à peu, le Rwanda s’est retiré, avec un succès remarqué, de l’aire d’influence de la France sur le continent africain. Le 25 février 2010, le président français, Nicolas Sarkozy, suite aux actions de médiation menées par son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’était rendu au Rwanda pour reconnaître les « erreurs d’appréciation » de la France dans le contexte génocidaire. Le dirigeant français avait alors déclaré: « Ce qu’il s’est passé ici est une défaite pour l’humanité. Ce qu’il s’est passé ici a laissé une trace indélébile. (…) Ce qu’il s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable ». Depuis, l’on a assisté à une décrispation des relations diplomatiques entre les deux pays. Un rapprochement dont se réjouit d’ailleurs Kigali depuis quelques mois…

Au moment où Paul Kagamé, porteur du récit national, rappelle « le rôle de la France » dans ce qui s’est produit dans ce pays en 1994, l’on peut s’étonner de la réaction de Paris. Dans un communiqué publié le 5 avril, le Quai d’Orsay estime que « ces accusations sont en contradiction avec le processus de dialogue et de réconciliation engagé depuis plusieurs années entre les deux pays… » Par conséquent, la France annule sa participation aux commémorations, à Kigali, du 20e anniversaire du génocide. Alors se pose la question de savoir, si la « réconciliation » commande d’occulter certains pans de l’histoire de l’humanité. A cela, Paul Kagame réplique, le 6 avril, que « la France doit regarder son histoire en face ». Difficile pour un pays qui, comme l’on sait, n’accepte pas de subir l’histoire, mais l’écrit et l’impose à son rythme, comme cela fut notamment constaté lors d’un débat au Parlement français sur la guerre d’Algérie – jusque là désignée en France « événements d’Algérie » – en octobre 1999.

Alors que la Belgique, a décidé de « ne pas changer de programme dans sa participation aux commémorations du génocide rwandais », selon Didier Reynders, ministre belge des Affaires étrangères, Paris, dans son refus de se rendre à Kigali choisit de s’enfermer dans les réflexes du passé.  Question subsidiaire: cette position de Paris est-elle approuvée par Christiane Taubira, Garde des Sceaux, qui devait conduire la délégation française à Kigali le 7 avril ? Rien n’est moins sûr…

Francis Laloupo

3 réponses à “France-Rwanda : le tunnel des mémoires

  1. Heddi SALIN 18 avril 2014 à 18 h 39 min

    Cher Monsieur LALOUPO,

    Concernant votre débat à la date du vendredi18 avril 2014, sur la modification de la constitution permettant au dictateur Sassou de rester au pouvoir, je vous ai trouvé si naïf!
    En effet, vous savez très bien que, le Congo-Brazzaville est dans la zone francofolle, comme j’aime à designer cette partie lamentable de l’Afrique. Et tant que le dictateur en place ne discutte pas la domination de la France, il peut disposer de son peuple et de ses institutions comme il l’attend.
    De ce fait, si le dictateur Sassou, aux ordres du système néocolonial français, veut se représenter au pouvoir, la France (media comme politique) ne dira pas un mot!

    Par ailleurs, je trouve dommage que vous ne mettez pas des africains qui ne soient pas d’accord avec les politiciens et journalistes français que vous invitez.
    Vous leur offrez beaucoup de temps disponible pour diffuser leur message auprès des africains, alors que dans le même temps, la réciproque n’est pas assure.

    Concernant l’arrivée au pouvoir du dictateur Sassou au pouvoir, je me suis renseigne auprès des congolais directement ; comme je le fait toujours lorsqu’il y a un conflit dans un pays, au lieu de suivre les journalistes aux ordres. A moins que je n’ai été abuse, ils m’ont assuré que la France a bien bombarde les positions gouvernementales, permettant à Sassou de gagner la guerre civile, contre le pouvoir légitime du président Lissouba.

    Sinon la France: politique, comme media, savent bien mettre la pression, voir menacer avec son armée, les leaders africains insoumis a sa politique d’ingérence. On a vu le cas Gbagbo et Khadafi et plus récemment le cas Djotodia. Ou le ministre de la guerre français, le Drian, a fait le tour de l’Afrique Centrale, pour s’assurer que les dictateurs aux ordres bien passent le « message » a un autre dictateur non désiré.

    J’espère vivement que vous recevrez mon message.
    Bon vent!

  2. Francis Laloupo 20 avril 2014 à 23 h 50 min

    Cher Monsieur,
    Merci de votre courrier. Brève réponse pour remarquer que vos interventions sont bien souvent « closes », et ne souffrent pas en général le débat et la contradiction. S’agissant de la guerre civile au Congo Brazzaville de 1997 – avant la réplique de 1998 -opposant les milices de Denis Sassou Nguesso et de Pascal Lissouba, je vous confirme que l’issue de cette confrontation a été déterminée par l’intervention, en faveur du premier cité, des forces angolaises. Si Jacques Chirac avait manifesté un soutien sans faille à Sassou Nguesso, rappelez-vous que la France était en cohabitation et que le socialiste Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait entrepris un retrait des troupes françaises de certains pays d’Afrique, dont le Congo Brazzaville… Ce sont, là, des faits, qui ne peuvent être soumis à l’interprétation. Sauf à y opposer des émotions circonstanciées.
    Par ailleurs, un mot pour vous signaler que le Grand Débat est un espace d’expression plurielle, accueillant diverses et différentes sensibilités, au nom des vertus de la démocratie et de la tolérance. Aux auditeurs de se faire leur opinion, en fonction des diverses « vérités » qui s’expriment. Car notre métier se définit comme une quête inlassable de la « vérité ». Ainsi restons-nous convaincus qu’il n’existe pas de vérité définitive et absolue.
    Bien à vous.
    Francis Laloupo

  3. Salin 21 avril 2014 à 13 h 32 min

    A mon émotivité supposée, j’oppose votre objectivité supposée.
    De mon point de vue, l’objectivité est un slogan, vanté par le système médiatique occidental, qui arrive ainsi à convaincre, ou à duper selon, certains d’entre nous de leur ‘sincérité’, dans la manipulation de l’information.
    Or il en est rien.
    En tant que être humain, une personne ne saurait avoir une épithète « objective ». Nous ne sommes pas des choses, … pas des objets.
    Encore une formule, « creuse », permettez-moi le mot.
    La réalité des faits est que CNN ou Fox News, donne un point de vue américain sur les grands sujets du monde. Ailleurs vous avez : BBC, A Jazira, France 24, CCTV ou encore RT…
    En effet, chaque nation essaie d’avoir une voix (voie aussi) indépendante, pour mieux défendre leurs propres intérêts. Certain habille ce FAIT, par des formules vides telles que: «objectivité», «grand reporter», «envoyé spécial» etc.
    Il n’en demeure pas moins que lorsque le moment vient de choisir, entre information et intérêts, ils choisissent tous Intérêts, ou presque.
    Cela ne me choque pas. Car l’émotion est plus motif d’action et de penser d’un être humain, et non l’objectivité,
    Par contre, ce qui est déroutant, reste le passionnément des medias venus d’Afrique. Dont la plupart n’arrive pas à se détacher de leurs homologues occidentaux (politique comme media, mêmes mimétismes). La faneuse indépendance, tant désirée par les africains !
    Je prends pour exemple : tous ces textes de l‘AFP, en première page du site Africa N*1. Comme si personne dans la rédaction, ne peut délivrer d’excellentes lignes pour informer les africains et…
    Ce qui n’est évidemment pas le cas, vu la qualité rédactionnelle de vos textes, et ceux de M. Amaizo.

    « La vérité n’est jamais entièrement d’un seul côté »

    Cordialement

    M. Salin

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