Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

Plaidoyer pour la paix civile en Guinée – Par Assane Diop

[Note de l’éditeur : Cette semaine, nous nous vous proposons une contribution de notre confrère Assane Diop, Journaliste à Radio France Internationale (RFI). Ce blog étant un espace d’expression libre et plurielle, les opinions qui y sont publiées engagent exclusivement leurs auteurs. Voici donc un regard sur la crise politique en cours en Guinée Conakry. Un « plaidoyer » assorti de quelques pistes de solutions pour une sortie de crise apaisée dans ce pays. Une contribution au débat, sur une situation qui suscite de vives inquiétudes au sein des opinions africaines et internationales.]

Pendant plus d’une semaine, entre fin février et début mars 2013, Conakry a de nouveau été secoué par une vague de violentes manifestations. Neuf personnes, dont un policier, ont péri dans des heurts entre les forces de l’ordre et les manifestants. De nombreux commerces ont été mis à sac par des pillards mêlés aux manifestants. La principale association de commerçants de Guinée a ainsi estimé à près de 9 millions d’euros le préjudice subi, et en a réclamé réparation à l’Etat. Comme lors des graves dérapages qui avaient marqué les rassemblements des 17 mars et 27 septembre 2012, c’est suite à un appel à manifester des principales forces de l’opposition que les rues de la capitale guinéenne se sont embrasées. Une fois encore, l’opposition exigeait « des élections propres », tout en rejetant le calendrier des législatives fixées au 12 mai par la Commission électorale nationale indépendante, (CENI). En l’absence « de dialogue avec le pouvoir et les forces de la majorité présidentielle » sur les conditions garantissant des « élections propres », l’opposition a donc une fois de plus choisi la rue pour exprimer ses revendications. 

C’est le lieu de rappeler que le droit de manifester, garanti par la constitution, est respecté par les autorités en place, à condition qu’une demande leur soit soumise. Mais ces mêmes autorités ont l’obligation, tout aussi impérieuse, de garantir la sécurité des personnes et des biens. Concevoir la démocratie comme un menu de principes dont les choix varient selon les circonstances, conduit au chaos ou, en réaction, à l’autoritarisme qui a caractérisé la vie politique guinéenne pendant plus de cinquante ans.

Par ailleurs, les manifestations ont beau se succéder et se ressembler, le processus d’organisation des législatives reste, à ce jour, au point mort. On ne peut donc que se réjouir du dialogue politique amorcé ces derniers jours par le Président Alpha Condé en vue de favoriser « le retour au calme et l’apaisement » et lever les derniers obstacles à la tenue des élections. Ces discussions se poursuivent entre les principaux acteurs concernés par le scrutin. Les trois principales coalitions de l’opposition – l’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP), le Club des républicains (CDR) et le Front d’union pour la démocratie et le progrès (FDP) – ont même obtenu la nomination de Salifou Sylla, en tant que « facilitateur ». Ancien ministre de la Justice sous le Président Lansana Conté, il est qualifié par ses mandataires de « compétent et doté du sens du compromis ». Cependant, le dialogue se concentre surtout sur deux points : le vote des Guinéens de l’étranger, réclamé par l’opposition, et le choix de la société sud-africaine Waymark comme opérateur électoral. Ces questions ne sont pas indifférentes, mais le véritable enjeu n’est-il pas de cesser de retarder le jour où, enfin, la Guinée sera dotée d’une représentation nationale pleinement légitime ?

L’actuel « bourbier électoral guinéen », pour reprendre le titre du rapport publié en mars par International Crisis Group, empêche la résolution des «tensions ethniques qui ont surgi à l’issue de l’élection présidentielle de novembre 2010 », avec la victoire d’Alpha Condé sur ses rivaux. Ces tensions mettent principalement face à face les Peuls, la communauté d’origine de Cellou Dallein Diallo, et les Malinkés, celle du Président Alpha Condé. Ces deux groupes, qui pèsent chacun près de 45% de la population, sont en voie d’être instrumentalisés par les fauteurs de querelles politiques. Cellou Dallein Diallo avait reconnu sa défaite face à Alpha Condé au second tour de la présidentielle en des termes admirables, proclamant qu’il mettait « les intérêts de la Guinée au-dessus de ses ambitions personnelles ». Cette hauteur de vue doit continuer à prévaloir, faute de quoi la Guinée serait menacée des pires catastrophes. Nul ne conteste à Cellou Dallein Diallo son attachement à la démocratie, même s’il a occupé de hautes responsabilités ministérielles sous le règne autoritaire de Lansana Conté. Mais sa position d’homme fort de l’opposition, confortée par son score à la présidentielle, ne doit pas se réduire à des postures victimaires. Elle lui impose des responsabilités vis-à-vis de ses partisans, mais aussi de la nation guinéenne toute entière, la première de celles-ci étant de prévenir la paralysie du processus démocratique et surtout contribuer à son achèvement. L’ancien premier ministre Lansana Kouyaté, arrivé en quatrième position au premier tour de la présidentielle, est également bien placé pour mesurer l’effet dévastateur d’une guerre civile ou, moins tragique, les conséquences des replis communautaires et claniques. Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU en Somalie, il a été l’un des témoins directs des ravages subis par ce pays après la chute du dictateur Siad Barré en 1992. Il a aussi représenté l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en Côte d’ivoire au plus fort de la crise politico-militaire, entre 2002 et 2009, et dans le cadre du suivi des « accords de Marcoussis » de 2003. De même que les responsabilités gouvernementales tenues par ces deux leaders de l’opposition sous le régime de Lansana Conté ne doivent pas faire douter de leurs convictions démocratiques, il serait tout aussi injuste de leur part de qualifier Alpha Condé de « dictateur ». Le terme est souvent revenu dans leurs propos, sans doute sous le coup de l’émotion. Le passé de prisonnier politique de l’actuel Chef de l’Etat guinéen et son refus de composer avec le pouvoir du général Conté pendant plus de vingt ans témoignent suffisamment de son attachement à la démocratie.

La seule enceinte où chacun puisse faire entendre sa voix dans un cadre pluraliste, apaisé et constructif est, sans conteste, celle d’une assemblée nationale démocratiquement élue. Le temps est donc venu d’aller aux élections, comme le souhaitent la majorité des Guinéens mais aussi les partenaires économiques privés et publics de la Guinée. Malgré la crispation politique permanente et des élections législatives « introuvables », les indicateurs économiques du pays sont perçus favorablement par la Banque africaine développement (BAD), le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union européenne (UE). La compétence et la rigueur du Ministre des finances Karfallah Yansane sont saluées par les principaux bailleurs de fonds. La Guinée a affiché en 2012, dans une période de crise économique internationale, un taux de croissance de 4,8%, presque un point de plus par rapport à 2011. Cette dynamique, favorisée par l’existence de ressources considérables – parmi lesquelles la moitié des réserves de bauxite du monde, ainsi que des gisements importants de fer, d’or et de diamants -, constitue une exceptionnelle opportunité que tous devraient contribuer à transformer en un succès durable pour le pays. La tenue rapide des élections législatives est un pas décisif dans cette direction. Qui peut, en toute conscience, s’y opposer ?

Assane Diop – Journaliste à RFI

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