Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

La grande misère des armées ouest-africaines

MaliLa crise malienne révèle une part de la réalité des armées africaines, principalement celles des pays francophones. Une réalité longtemps dissimulée derrière le paravent des discours officiels, confinée aux espaces nationaux, travestie par les défilés militaires et occultée par les hymnes aux accents martiaux. A quoi auront servi la plupart de ces armées depuis cinq décennies d’indépendance ? Quels auront été leurs hauts faits d’armes ? Furent-elles les boucliers incandescents contre des agressions extérieures ? Ont-elles permis de garantir la sécurité des populations ? Ont-elles seulement été considérées par ces mêmes populations comme leurs alliées ?

Voies de garage offertes, dès les années 60, aux jeunes désœuvrés, les casernes deviendront aussi le territoire des complots en tous genres, là où des gradés, à défaut de pouvoir témoigner d’épopées militaires, se sont spécialisés dans l’art de faire et défaire les régimes. La nature ayant horreur du vide, les militaires africains, jamais projetés sur des théâtres de conflits majeurs, sont devenus des champions toutes catégories du coup d’Etat sans risques, c’est-à-dire des experts de la guerre contre d’improbables « ennemis intérieurs ». A force de multiplier ces exercices, ils y ont pris goût, en le renouvelant cycliquement. Et, afin de tuer définitivement l’ennui, ils ont fini par choisir de prendre durablement les commandes de l’Etat. Seul moyen, ce faisant, de s’offrir, aux dépens de leurs concitoyens, un état de guerre intérieure permanent, pudiquement nommé « régime militaire », autrement dit, le degré zéro de la politique et de la gestion de la chose publique.

En somme, à défaut d’avoir bravé des périls venus de l’extérieur, ces hommes en armes auront, pour l’essentiel, exercé leur art à l’encontre de leur concitoyens… Un exercice subtil pour ces agents de l’ordre, souvent transmués en fauteurs du désordre national. Ces armées, placées sous l’autorité de gouvernements incapables d’inscrire leur mission dans un cadre programmatique et une politique durables de la défense nationale, sont devenues, aux yeux de leurs concitoyens, les agents de la terreur nationale, quand ils ne sont pas perçus comme des oisifs galonnés. Et même si les hommes de la troupe sont souvent appelés à remplir de multiples tâches d’utilité publique, et que nombre d’entre eux s’en vont parfois compléter les contingents des forces de maintien de la paix de l’Onu sur divers théâtres d’opérations, il faut bien se rendre à l’évidence : la perte d’estime des populations à l’égard de leurs armées nationales n’a cessé de croître au fil des cinquante années écoulées.

L’une des raisons expliquant cette déshérence des armées est à rechercher dans la structuration des indépendances des pays francophones. Les pouvoirs civils, très tôt discrédités, avaient-ils pour objectif de construire de véritables et durables politiques de défense nationale ? Assurément non. En concluant avec l’ex-colonisateur des accords d’assistance militaire, les jeunes Etats francophones confiaient, à travers le traité de l’indépendance – le deal postcolonial -, la sous-traitance de la défense nationale. Question, alors : à quoi allaient donc servir les armées en constitution sur ces nouveaux territoires « souverains » ? A maintenir l’ordre intérieur, en protégeant les pouvoirs contre leurs populations considérées comme potentiellement hostiles à ce nouvel ordre néocolonial… D’ailleurs, plutôt que de doter les casernes des moyens adaptés aux missions de défense nationale, les dirigeants se sont souvent contentés de protéger uniquement le périmètre de leur pouvoir, avec des « gardes nationales », une force « d’élite » massivement armée, dont la vocation se limite à la préservation de la frontière qui sépare l’espace présidentiel des foules hostiles… Ce qui se produit en Afrique de l’Ouest laisse pantoises les opinions d’Afrique australe. Nulle comparaison possible entre les armées francophones des pays de la Cédéao et celles d’Afrique du sud, du Mozambique, d’Angola, de la Tanzanie, d’Ethiopie, du Kenya ou du Zimbabwe. Autres histoires, autres armées. Autres parcours politiques, autres consciences sécuritaires…

A l’heure de l’appel aux troupes pour se porter au secours du Mali et enrayer la menace dirigée contre l’ensemble de la région, l’opinion constatait, effarée, que des pays qui connurent, durant ces cinquante dernières années, de longues périodes de régimes militaires, en étaient à compter laborieusement le nombre de soldats à envoyer au front. A titre d’exemple, le Togo. Quand l’on sait que l’histoire du Togo indépendant fut essentiellement marquée par les bruits de bottes et la brutalité militaire, on peut s’étonner que l’armée de ce pays, présentée comme l’une des plus redoutables de la sous-région, ne soit pas parvenue à envoyer au moins un millier de soldats dans le nord du Mali… A l’heure de la vraie guerre contre l’ennemi extérieur, peu de volontaires ont répondu à l’appel… Et même si l’Assemblée nationale s’est prononcée pour, seulement, l’envoi de 500 soldats, on n’en compte que 100, à ce jour, sur le sol du Mali. Où sont donc passés ces centaines de soldats, si prompts à parader dans les rues de leur capitale à chaque mauvais coup porté à la République ? Où sont-ils, ceux-là qui ont mis au point les techniques de répression les plus sophistiquées pour pourchasser, brutaliser, torturer, tuer ou pousser à l’exil des dizaines de milliers de leurs compatriotes depuis quatre décennies ? Sur fond de guerre au Mali, voici donc venu le temps d’évaluer les régiments et la capacité de bravoure des soldats. Voici venue l’heure de s’interroger : à quoi ont-ils servi depuis cinquante ans ?

L’absence de politiques sécuritaires et de défense affirmées et efficientes constitue l’une des causes majeures de l’affaiblissement des Etats de cette région. Et c’est bien cette faille qui a favorisé l’émergence des groupes armés, gestionnaires de zones de non-droit, déterminés à déposséder les Etats de leur droit à la violence légitime. Il serait à tout le moins irresponsable de reporter indéfiniment la question de la capacité de ces Etats à garantir, souverainement, la sécurité de leurs territoires et de leurs citoyens. Cette question est devenue d’une cruelle actualité, à l’heure où les armes parlent dans le Sahel…

Toutefois, dans le brasier malien, la capacité militaire de certains pays permet aujourd’hui d’atténuer la grande désolation des opinions à l’égard des armées d’Afrique francophone. Alors que la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ne sont parvenus à réunir, individuellement, qu’entre 300 et 600 soldats, le Tchad, pays d’Afrique centrale, a envoyé près de 2 000 soldats au front. Inutile de rappeler que la Côte d’Ivoire, pour cause de situation post-conflit, n’a pu envoyer sur le terrain le moindre contingent digne de ce nom… L’objectif de l’Union africaine consiste au déploiement progressif de 8000 soldats africains sur le terrain. Un objectif qui sera atteint, avec la contribution d’autres pays dont les troupes viendraient renforcer les contingents d’Afrique occidentale. En attendant, les soldats tchadiens et nigériens se retrouvent aux avant-postes avec leurs collègues français et maliens… Et c’est le Tchad qui, à ce jour, depuis l’offensive décisive du 11 janvier 2013 contre les djihadistes, aura payé le prix fort de cette guerre, avec 23 soldats tués, dans la seule bataille de Tessalit, le 22 février dernier. Où sont donc passés, sur le front du conflit, les bataillons béninois, togolais, sénégalais, guinéen… ? La capacité militaire du Tchad, saluée aujourd’hui par tous les observateurs, se trouve liée à une histoire singulière, celle de ce pays plongé dans une situation de guerre permanente depuis son indépendance, victorieusement dressé, dans les années 70, contre les velléités expansionnistes de la Libye, et confronté à diverses formes de rébellions et de violences depuis plusieurs décennies. L’on dit volontiers que la guerre est une « tradition » au Tchad, dont le président, le très contesté Idriss Déby, trouve, à travers le conflit malien, la miraculeuse opportunité de se racheter une conduite et se refaire une réputation. Les méandres de la guerre sont insondables…

3 réponses à “La grande misère des armées ouest-africaines

  1. AM 25 février 2013 à 12 h 16 min

    « Ce qui se produit en Afrique de l’Ouest laisse pantoises les opinions d’Afrique australe. Nulle comparaison possible entre les armées francophones des pays de la Cédéao et celles d’Afrique du sud, du Mozambique, d’Angola, de la Tanzanie, d’Ethiopie, du Kenya » dis-tu.

    C’est ce que je disais en d’autres termes, dans le commentaire d’un de tes précédent post ! Mais pourquoi titrer « La grande misère des armées africaines… » ? Il s’agit bien de la grande misère des armées des pays d’Afrique francophone ! Les Béninois, Togolais, Sénégalais, Guinéens, Ivoiriens et autres sont invisibles. Les Tchadiens constituent l’exception qui confirme la règle.

    Encore un fois, nous francophones sommes jugés sévèrement par les africains anglophones et lusophones. Et ils ont raison ! On voit le résultat des accords de défense signés entre les dirigeants d’Afrique francophone et la France. Une relation de dépendance que d’autres pays n’ont pas. Et Il n’y a pas de fatalisme à ce genre de situation. Les kenyans, angolais, sud-africains, nigérians etc. sont des exemples à suivre dans ce domaine comme dans d’autres (le jour où tu abordera la question du transport aérien en Afrique on fera également une comparaison entre Kenya Airways, Ethiopian Airways et……. Camair-Co, là non plus y’a pas photo !)

    crdlt

  2. Electrosphère 4 mars 2013 à 10 h 27 min

    En effet, l’immense majorité des armées d’Afrique ne sont guère préparées pour protéger leurs territoires nationaux et donc parfaitement inaptes à gérer des risques sécuritaires majeurs ou combattre sur des « théâtres durs » ((AQMI/MUJAO, M23, Séléka, etc).

    Les bérets verts et les bérets rouges « pré-règlent » déjà leurs comptes en vue des opérations avec l’armée française (par peur que l’une gagne un peu trop en influence et savoir-faire et vice-versa) alors que ces deux corps d’armes même réunis subiraient un véritable KO tactique face aux garçons d’AQMI/du MUJAO… quand ce n’était pas le MNLA. Par ailleurs, les armées ouest/centre africaines n’ont aucune culture de la coalition tant sur le plan stratégique, tactique qu’opérationnel et cela ne se fait pas un jour. Elles ont beaucoup à apprendre des coalitions Ouganda-Kenya-Ethiopie peu ou prou efficaces face aux multiples trublions somaliens.

    Seul le Tchad fait figure d’exception en Afrique francophone – comme je l’avais mentionné ici: http://bit.ly/Wmkelb – et l’a peut-être récemment prouvé en abattant (probablement) les deux leaders d’AQMI à quelques heures d’intervalle. Bref, depuis que la guerre du Mali a commencé, Idriss Deby triomphe littéralement.

    Cordialement

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