C’est un principe que nous avons souvent évoqué ici. Celui d’ « assistance à peuple en danger ». C’est sur ce principe inscrit dans le droit international, et bien souvent oublié au profit d’un discutable « devoir d’ingérence » que la France fonde son engagement militaire dans le conflit malien, depuis le 11 janvier. « Si l’on n’était pas intervenu, il n’y aurait plus d’Etat malien », a indiqué Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense. En somme, bien plus que l’appel au secours lancé à la France par le président intérimaire malien, par-delà même la légalité internationale qui sous-tend l’action de Paris, la justification majeure de cette intervention française réside dans le fait que l’existence, à proprement parler, d’un pays était menacée, sous le regard médusé ou indifférent du monde. Un fait rarissime sur la scène internationale.
L’engagement militaire français prend une signification particulière, dès lors que, face à un péril d’une telle nature, l’organisation des Nations Unies n’a pas su en anticiper les risques et mettre en œuvre les moyens idoines dans les délais appropriés, afin empêcher que l’un de ses Etats membres ne bascule dans le cercle de la terreur promis par des légions de flibustiers mus par un unique objectif : la remise en cause du droit international dont cette même Onu se trouve être la gardienne et la garante.
Pour bien comprendre l’équation française sur laquelle se fonde son engagement militaire au Mali, il faut ajouter au principe de « l’assistance à un pays danger » celui de la « responsabilité partagée », cher au chef de l’Etat français. Confronté, dans son choix, à la relative indécision de ses partenaires du Conseil de Sécurité de l’Onu – les Etats-Unis, particulièrement -, Paris s’appuie essentiellement sur la demande du Mali, ainsi que sur la décision des pays membres de la Cédéao. Avec, il faut le reconnaître, une maîtrise du « temps juste » et une efficacité remarquables. En s’appuyant sur ce principe de la « responsabilité partagée », François Hollande agit là où on l’attendait le moins : la gestion de la paix et de la guerre sur la scène internationale, et plus précisément en Afrique. A l’heure où nous écrivons ces lignes, après avoir apporté un appui décisif à l’armée malienne pour arrêter l’avancée des groupes jihadistes vers le sud du Mali, les troupes françaises étendent leur action vers le nord du pays où les occupants imposent leur loi depuis onze mois.
La France de François Hollande aura donc accepté d’assumer cette position singulièrement inconfortable : devenir, en quelques heures, depuis le 11 janvier, la sous-traitante de la lutte anti-terroriste pour le compte de tous ceux qui n’ont cessé d’opposer au dossier malien une ahurissante symphonie de tergiversations et de billevesées diplomatiques. Il est vrai qu’au Mali, il y a davantage d’étendues désertiques à contempler que de puits de pétrole à sauvegarder… Aujourd’hui, étant donné la douteuse posture des diplomaties internationales à l’égard de la situation qui prévaut au Mali depuis mars 2012, les « remerciements » des Maliens à la France ont une intonation particulière, à l’heure où les forces françaises déploient leur action dans le périmètre du conflit… Il faut également souligner qu’en faisant le choix de cette guerre, Paris a été amené à reconsidérer deux points sensibles de son agenda : la gestion du dossier des otages français retenus au Sahel, ainsi qu’une nouvelle planification de sa stratégie militaire après le retrait de ses troupes d’Afghanistan, à la fin de l’année dernière (on aurait préféré faire l’économie d’une guerre dans l’immédiat, après le retour récent des soldats d’Afghanistan).
La rapide réponse de la France à l’avancée des groupes narco-islamistes vers Bamako agit en contraste avec les réserves constamment formulées par l’administration américaine vis-à-vis de l’affaire malienne. On s’en étonne, quand on sait que cette même Amérique a placé, depuis dix ans, la lutte contre le terrorisme au cœur du logiciel de la sécurité internationale. Pratiquement seule à la manœuvre, la France attend le déploiement des troupes de la Cédéao en cours de constitution. Manifestement, en dépit du niveau signalé du danger, l’organisation sous-régionale ne disposait pas de troupes en situation d’alerte au moment où la capitale du Mali, Bamako, était menacée de tomber sous l’assaut des jihadistes qui n’hésitaient plus à promettre d’instaurer leur loi criminelle sur l’ensemble de l’Ouest africain… Quelle que soit l’issue de cette guerre, elle aura au moins fait la démonstration, irréfutable, de l’incapacité notoire de l’organisation sous-régionale à garantir, en toute autonomie, la sécurité de ses pays membres, et partant, de ses populations. Il faut espérer que les gouvernants tirent les justes enseignements de cette crise majeure.
Les récents développements de la situation au Mali, déclencheurs de la guerre, étaient terriblement prévisibles. A maintes reprises et en diverses circonstances, nous avons émis les alertes, indiquant, sous le sceau du bon sens, que les objectifs de ces psychopathes autoproclamés combattants de l’Islam n’allaient pas se limiter au nord du pays. Qu’ils savaient tirer parti des faiblesses de l’Etat malien, de l’inexorable déliquescence de la classe politique, ainsi que des indulgences, hésitations et autres calculs coupables de quelques apprentis-sorciers de la scène diplomatique internationale. Toutefois, par excès de confiance, ces nouveaux conquérants du Mali ont fini par commettre « la faute ». En décidant de porter l’offensive au-delà de la ligne de démarcation entre le nord et le sud du pays, les islamistes d’Ansar Dine ont occasionné un nouveau tournant, décisif, dans le conflit. En effet, la mise en œuvre, début janvier, de l’objectif militaire d’Ansar Dine et de son allié Aqmi, à savoir la conquête de tout le territoire malien, a restauré le crédit – mis à mal depuis plusieurs mois – d’une armée malienne revenue au front. Mais surtout, les affrontements entre Ansar Dine et l’armée malienne déterminée à contrer la progression des islamistes vers le sud du pays ont, bien plus que symboliquement, accéléré l’agenda d’une intervention militaire internationale, rendant obsolète le délai suggéré par l’Onu – prévision au deuxième semestre de l’année 2013 – dans la résolution 2085 du 20 décembre dernier 2012, autorisant « le déploiement par étapes de la Misma (Force internationale de soutien au Mali) », réclamée par le Mali et approuvée par la Cedeao. L’intervention française se situe dans le cadre de cette résolution. Le 13 janvier 2013, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, déclarait : « Il y a eu une accélération spectaculaire de l’action de ces groupes depuis jeudi. Si personne n’intervenait, c’est Bamako qui tombait deux ou trois jours après. Si on n’était pas intervenu, il n’y aurait plus d’Etat malien. L’objectif de ces groupes est de faire de cet espace un sanctuaire terroriste à partir duquel des attaques pourraient être menées. L’objectif est que le Mali retrouve sa souveraineté. »
Peut-être faut-il s’attendre à une guerre longue aux développements encore imprévisibles. Mais la configuration nouvelle du conflit a d’ores et déjà produit un double résultat. D’une part, le basculement du rapport de forces en faveur de l’Etat malien passablement humilié depuis plusieurs mois par des bandes armées imposant leur chronogramme de la crise, et aujourd’hui conforté par le renfort français suivi de l’implication militaire des pays ouest-africains. D’autre part, la mise en mouvement de la dynamique internationale en faveur de la restauration de l’intégrité territoriale du Mali. Deux jours après son engagement sur le terrain, la France pouvait compter sur le soutien, en des formes non encore déterminées, de l’Angleterre et des Etats-Unis. Fait plus significatif, l’autorisation accordée par l’Algérie – jusqu’ici réticente à toute action militaire internationale – aux avions de guerre français de survoler son territoire en direction du nord du Mali afin de libérer les populations de cette région de l’enfer jihadiste. Mais, la guerre n’en est qu’à ses débuts. Et comme toutes les guerres, celle-ci s’apparente forcément à un saut vers l’inconnu.
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Articles similaires
j’ai préféré t’adresser un mail
le fonds de ton propos m’agrée entièrement
mais …
Bonjour Francis,
… Depuis plus de huit (8) mois, nous claironne-t-on, la CEDEAO devrait déployer trois-mille trois-cents (3.300) soldats au Mali pour déloger les occupants. Ironiquement, il a fallu que le premier coup de canon soit donné par les européens pour que cette CEDEAO daigne sortir de son irresponsable immobilisme, en s’imposant un semblant de respect de son engagement.
Dans le cadre de la gestion de la crise au nord de notre pays, la CEDEAO aurait dû, dès le 17 janvier 2012, se positionner franchement du côté du Mali, dans le respect strict de l’article 3, alinéas a, b c, d, e, visant à préciser les objectifs du mécanisme de maintien de la paix et de la sécurité entre ses états membres, en conformité avec le « Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité », signé en 1999 à Abuja.
Au Mali, la CEDEAO a failli ; elle faillira toujours et partout en Afrique de l’ouest !
Nous en appellons donc aux Peuples d’Afrique occidentale d’exiger de leurs dirigeants la mise en œuvre d’une véritable organisation panafricaine pour les Peuples et par les élus des Peuples !
Il nous faut désormais une CEDEAO des Peuples en lieu et place de celle des apparatchiks !
À défaut, le Mali se doit de conclure des accords bilatéraux de défense plutôt que rester engluer dans des appareils dysfonctionnant et méprisant la dignité des peuples !
De la bataille de Konna, le Mali doit tirer l’enseignement essentiel pour la refondation de son Armée nationale (le creuset du Peuple) et la révision de toutes ses conventions multilatérales ouest-africaines.
Merci encore pour le « coup de crayon »
Merci, Kéchéri. La démonstration est faite. Cruellement. Une « CEDEAO des Peuples en lieu et place de celle des apparatchiks »… J’approuve pleinement.
Francis
Bonjour du Québec!
Je viens de découvrir votre blog (je ne suis pas très blog!) mais vous êtes vraiment très intéressant.
Le 2 janvier dernier, je suis tombé sur des Déclarations d’Ansar Addine publié sur un site web: http://www.ansaraddine.be
Ils y vont de plusieurs pages avec plusieurs faits historiques: du Soudan français méprisant la zone de l’Azawad, révoltes mâtées dans le sang, la mauvaise foi des autorités maliennes, d’ATT qui, avec ses sbires ont » concocté un projet diabolique visant l’autodestruction totale de la société arabo-touarègues du Mali. »
Êtes-vous au courant de ces déclarations? J’aimerais connaître votre position.
Merci!
Denis Thibodeau
Montréal, Québec
Oui, ce serait intéressant de commenter ce document.
Mais, si on veut savoir l’Histoire de peuplement de l’Afrique en général et du Mali en particulier, histoire de pouvoir se prononcer, de bonne foi, sur des questions de « primauté et droits sur le sol », on ne commence pas cet exercice au lendemain d’une déclaration de belligérants, avec comme ressource majeure d’information cette même et seule déclaration.
En effet, quel est l’historien scrupuleux, l’homme cultivé sérieux ou le curieux respectable qui oserait nier au Mali les pages de son Histoire retracée par l’archéologie et, en partie, décrite par des chroniques (Tarikh al-Sudan et Tarikh al-fattash ) entre autres ?
Pourtant, c’est ce qui est visé dans le document que cité en référence.
Puisque Monsieur Denis Thibodeau, de bonne foi, écrit : « Ils y vont de plusieurs pages avec plusieurs faits historiques : du Soudan français méprisant la zone de l’Azawad, … », je lui recommanderai plutôt de relire les pages de l’Histoire de l’Afrique car, ce n’est pas par hasard que le Mali indépendant en 1960 s’appelait « Soudan français ». Que Monsieur cherche à savoir ce que veut dire Soudan en arabe, il sera édifié !
Les problèmes sont réels dans le nord du Mali, comme dans le sud, avec des complications liées à la nature et à l’environnement naturel !
Chacun(e) est libre de choisir son camp, choisir un camp ou pas du tout de camp, c’est cela la liberté d’opinion et d’association. Mais, tout de même, un peu de raison, d’objectivité, de recherche de crédibilité ; c’est le socle de la Paix authentique pour tous les peuples qui ont également le droit à l’existence, à la quiétude et au bien-être !
De là à légitimer des bandits armés, non représentatifs d’une communauté, elle-même extrêmement minoritaire dans un pays donné, en l’occurrence le Mali (où les Touaregs représentent environ 1% de la population et environ 10% de celle des régions au nord), il y a une grande marge à franchir précautionneusement !
En 52 ans d’histoire post-indépendance, le Mali cumule 33 ans de régime militaire affiché ou déguisé, qui n’ont été bénéfiques pour aucune population spécifique du pays.
Et pour preuve, ce pays ne dispose même pas de Forces de défense, mais d’une troupe armée avec vocation de police pour les maintiens d’ordre et le « matage » des contestataires.
C’est dans ces contextes que l’ensemble des démocrates maliens ont accueilli avec ferveur les mouvements de « rébellions touarègues » des années 1990, allant jusqu’à signer les accords de Tamanrasset aux premières heures de la victoire de la révolution populaire du 26 mars 1991. Je passe les détails des actions d’intégration et incorporation massives des « ex-rebelles » dans les services publics et forces de défense nationale !
Au Mali, i y eut certes beaucoup d’incuries au sommet.
Cependant, s’il pleut davantage à Sikasso qu’à Gao, ce n’est aucunement le fait d’un gouvernant.
Mais dans ce pays de Sahel et Sahara, de Kayes à Kidal, la plupart des communautés maliennes se sont préoccupées directement de leur propre sort, non pas par les canons, mais à travers une émigration singulièrement, remarquable à travers le monde, qui a bâti les principaux chantiers visibles partout dans le pays.
Les centaines de milliers de Maliens et Maliennes, qu’ils soient binationaux ou « sans-papier », triment à travers le monde pour s’impliquer à pallier les carences de l’État, combler le manque d’infrastructures d’éducation, de santé, de développement; pour atténuer les faiblesses naturelles et structurelles du Mali. Ces émigrants contribuent à la sueur de leur front, sans armes ni haine, à la réalisation de toutes sortes missions dévolues habituellement à l’état.
Ceux qui ont agressé le Mali militairement, tué leurs compatriotes sur commande, ont été reçus en France et en Suisse avant le lancement de leurs opérations. Ce sont les mêmes qui ont éventré et émasculé des soldats maliens faits prisonniers le 17 janvier 2012.
Ceux qui ont pris les armes et les ont dirigé vers leurs frères et sœurs, leurs parents, leurs coreligionnaires, affamant, violant et obligeant à l’exil des centaines de milliers de personnes de leur ethnie et des autres communautés paisibles du Mali, ceux qui ont provoqué tout cela ont d’ailleurs fini par reconnaitre l’indigence de leurs prétextes pour affirmer qu’ils ne relèvent pas d’une rébellion identitaire touarègue, mais d’un mouvement pluriethnique politique.
S’engluant dans un vide socio-temporel – Azawad, ils admettent étonnement qu’ils sont autres que Touaregs; donc ils ne représentent pas les Touaregs maliens, républicains et musulmans majoritairement !
Le mythe du Touareg, de l’homme bleu est une imposture dont il faut vite se défaire et redescendre sur terre, pour se rendre compte que sur les terrains des opérations militaires, beaucoup de Touaregs (gradés et homme de rang) se battent pour le Mali, pour son indivisibilité, son unité nationale et sa laïcité.
Cette fiction, ce fantasme de brimades d’une communauté exclusive, nuit gravement à la reconnaissance et à compréhension des souffrances et difficultés des autres communautés du Mali.
Tôt ou tard, il faudra sortir de la prise de position compassionnelle au faciès !
C’est la condition de la véritable Paix, Une et Invariable !
Pour que « les champs refleurissent d’espérance et que les cœurs vibrent de confiance », selon l’hymne du Mali.
Salut !
Étant nord-américain et n’ayant pas encore mis mes pieds au Mali (ce que je ferai prochainement), je ne prétend en rien connaître l’Histoire de l’Afrique en profondeur. Ceci dit, je suis tombé par hasard sur ces « Déclarations » et cela m’a conduit à des questions plus profondes que ce que nos médias, ici, nous transmettent sur ce sujet. L’amour de votre continent me pousse à lire plus loin, à chercher à comprendre plus en profondeur. Merci de ce commentaire très édifiant! Dorénavant vous pouvez me considérer comme un adepte de vos chroniques! 🙂