L’insoutenable désintégration de la RDC se poursuit. Et rien ne semble pouvoir infléchir le cours d’une tragédie qui déploie son empire depuis une quinzaine d’années, et transforme ce « géant » africain en un vaste territoire livré à toutes les formes de violences, d’insécurité et de prédation. Face à un ersatz d’Etat replié sur son îlot, conduit à la manière d’un butin de guerre, les groupes armés successifs qui ont imposé leur loi dans l’Est du pays depuis des années, ont depuis longtemps consacré la perte d’une part notable de la souveraineté territoriale par ceux qui prétendent représenter la destinée d’un peuple en plein désarroi. Un peuple qui a fini par s’en remettre à la protection divine, après avoir désespéré d’une classe politique qui n’a cessé de l’accabler de ses démissions, ses renoncements, son incurie et sa félonie. Au sommet de ce qui reste d’Etat, Joseph Kabila, dirigeant ayant succédé, au pied levé et dans des conditions non encore élucidées, à son père.
Aujourd’hui, après onze ans au pouvoir, le numéro un congolais a rejoint le cercle peu glorieux des dirigeants affublés du boulet de l’illégitimité et de la fraude systémique. Hissé sans préalable en juin 2006 au sommet de l’Etat par la grâce de la diplomatie de l’ombre des Etats-Unis, il fut ensuite adoubé par la France, puis l’Europe occidentale. La manœuvre se révélera peu soluble dans le contexte chaotique d’un pays où les zones de non-droit se sont multipliées au fil du temps, et où l’Etat, replié sur ses attributs immédiats, a quasiment renoncé à étendre son autorité à l’ensemble de son territoire souverain. Résultat : un pouvoir nimbé d’énigmes, accusé d’alliance objective avec le Rwanda, ce voisin devenu le pire cauchemar des Congolais. Le Rwanda dont l’influence – politique, diplomatique et militaire – soutenue par les Etats-Unis, n’a cessé d’alimenter l’instabilité et la loi des armes dans l’Est du Congo. Face à cette situation, une question devenue récurrente : comment expliquer que le « moustique rwandais » parvienne ainsi à priver de sommeil le « mammouth congolais » ? Ainsi, l’impuissance du pouvoir congolais à opposer son autorité au Rwanda et à la confusion qui règne dans cette région du pays, a fini d’installer, dans l’opinion nationale, un amer sentiment d’humiliation…
Aujourd’hui, l’actualité de la RDC est dominée par les hauts faits de la nouvelle rébellion qui sévit dans l’Est, baptisée « M23 », et composée, pour l’essentiel, d’anciens rebelles qui, après avoir été intégrés en 2009 dans l’armée, se sont mutinés en avril 2012. Au-delà de multiples et insaisissables revendications, leur objectif avoué désormais est de mettre en déroute l’armée nationale et étendre leur primauté à d’autres localités de cette région. Le 17 novembre, les combats se sont intensifiés entre les troupes du M23 et l’armée congolaise, appuyée par les éléments des Nations Unies présentes sur le territoire. Face à cette brusque aggravation de la situation militaire, une réunion d’urgence du Conseil de sécurité a été programmée ce jour même. Emotion aussi de la France, qui, craignant « un nouveau drame humanitaire », a réclamé « la cessation immédiate des combats, et la protection des populations civiles et de tous les acteurs humanitaires ». Le porte-parole du Quai d’Orsay, Philippe Lalliot, a lancé un appel à « tous les pays de la région » afin qu’ils s’abstiennent de toute ingérence dans les affaires intérieures de la RDC. Principal visé : le Rwanda, accusé depuis plusieurs mois d’apporter son soutien militaire aux rebelles du M23. Les rapports d’experts de l’Onu étayant l’implication du Rwanda dans la situation qui prévaut dans la région orientale de la RDC, s’ils ont tous été démentis, n’ont pas donné lieu à une condamnation officielle du Rwanda, et moins encore à une mise en garde formelle de la part des Nations Unies.
Embarrassée, et ayant repris à son compte la bienveillance des Etats-Unis à l’égard de ce pays depuis quinze ans, l’Onu semble avoir du mal à modifier son logiciel diplomatique. Mis à part le déploiement d’une force militaire, l’Onu se montre impuissante à prendre les mesures diplomatiques et politiques adaptées aux enquêtes menées par ses propres experts sur les responsabilités rwandaises dans l’est de la RDC. Des enquêtes pourtant validées par l’Onu elle-même, et aussi par les Etats-Unis. Fort des indulgences dont elle a longtemps bénéficié, Kigali nie tout en bloc, et pointe du doigt le pouvoir congolais, incapable, selon elle, d’imposer l’ordre et la sécurité sur son territoire… Ces derniers jours, alors que la rébellion du M23 affrontait l’armée congolaise, Kinshasa indiquait que « trois bataillons du Rwanda Defence Force (l’armée rwandaise) commandés par un officier, le général de brigade rwandais Ruvusha et deux unités spéciales des RDF dont une unité d’artillerie lourde commandée par le général rwandais, Gatama Kashumba ont soutenu le M23 »… Ces combats ont provoqué l’exode de plus de 7 000 personnes vers le camp de déplacés de Kanyarucinya, à une dizaine de kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. Une scène devenue ordinaire dans cette région soumise, depuis la fin des années 90, à toutes les violences : viols massifs, enrôlement d’enfants soldats, exactions variées infligées aux populations, misère de fin du monde et destruction de l’environnement…
Bilan des divers épisodes de conflits en RDC depuis quinze ans : au moins cinq millions de morts, des centaines de milliers de déplacés, et une partie du territoire livrée au pillage organisé des ressources minières, y compris par des multinationales, sous le regard complaisant des puissances occidentales. La RDC est devenue un effrayant concentré de toutes les impostures internationales : un Etat fantomatique tourné vers ses commanditaires extérieurs, des périmètres de conflits et de violences politiquement circonscrits et confinés, d’innombrables victimes passées par pertes et profits, une économie aux contours criminels tacitement tolérés… Une géopolitique du chaos… Dans l’ignorance des médias, loin des feux de l’actualité mobilisatrice, la RDC se désintègre peu à peu. Le drame est gigantesque, à l’image de ce pays devenu l’ahurissant réceptacle de toutes les égarements, des reniements, des culpabilités et des impostures de ce qui tient lieu de « communauté internationale », institutions politiques africaines comprises.
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La décomposition actuelle de la RDC a également de graves conséquences sur les communautés congolaises qui vivent hors de l’ancien Zaïre. (avis d’un de tes lecteurs non-congolais, précision utile)
AM