En attendant que les armes se taisent en Libye, les différents acteurs du conflit ont commencé à faire leurs comptes, dans tous les sens du terme. Tandis que les responsables du Conseil national de transition (CNT) déploient des trésors de diplomatie pour obtenir le déblocage des avoirs libyens dans les banques occidentales, et alors que l’Onu s’inquiète des conséquences humanitaires du conflit, le pouvoir français s’applique à communiquer sur son « rôle central » dans la chute du régime Kadhafi. Le 1er août dernier, l’Élysée réunissait une soixantaine de délégations de haut niveau pour une « conférence internationale » portant sur la reconstruction de la Libye. Le matin même, une « fuite » savamment organisée laissait entendre que le CNT allait accorder à la France 36% de l’exploitation du pétrole libyen. Information fortement démentie par les nouvelles autorités libyennes. Démenti ensuite relayé par Paris. Triviale ambiance…
Mais alors que la plupart des délégations – y compris celles menées par des chefs d’État – présentes à cette conférence internationale faisaient montre d’une remarquable discrétion – conformément aux usages en de telles délicates circonstances -, le président français multipliait déclarations, postures et opérations de communication, afin que nul n’ignore son « leadership » à ce tournant de l’histoire libyenne. Pour peu, on lui confierait les clés du désert et de la conduite du destin de la nouvelle Libye ! Contraste saisissant : alors que le Britannique David Cameron et l’Américain Barack Obama, de même que les Chinois et les Russes, observent la retenue, la discrétion et même l’humilité requises dans un contexte aussi sensible, le président français semble ignorer la « valeur historique » de ces événements et l’extrême complexité d’une situation dans laquelle il a néanmoins joué une partition majeure. A telle enseigne que son « service après-vente » pourrait anéantir l’essence même de l’acte posé.
Comment comprendre que, deux jours après cette conférence internationale tenue à Paris, le chef de l’État français ramène au rang de petits calculs dramatiquement politiciens et « villageois », l’affaire libyenne, en promettant, lors d’une visite en province dans le département des Vosges, de « faire preuve de la même ténacité » pour lutter contre le chômage en France que celle qu’il a déployée pour soutenir les opposants libyens contre Kadhafi ? On croit rêver ! Dans son livre Ne vous représentez pas ! Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy (1), notre confrère Denis Jeambar écrit : « Vous avez érigé la trépidation en art de gouverner (…) Certes, vous avez fait le bon choix lorsqu’il s’est agi d’intervenir en Libye au printemps 2011 pour sauver des populations civiles, mais vous n’avez pu, sur une affaire aussi sérieuse, vous empêcher de jouer les démiurges. Être le premier à dégainer, donner le sentiment de forcer la main à votre faux-vrai ami Barack Obama et tirer la couverture à vous. Un coup d’éclat à la De Gaulle. Sauf que le fondateur de la Ve République songeait plus à la France qu’aux élections… ». Du coup, la participation de la France à la chute du régime Kadhafi, que le CNT s’emploie à présenter comme une alliance objective et nécessaire dictée par les circonstances et la nécessité, se transforme, dans les vallées des Vosges, en un insignifiant et grossier argument électoral… Ce qui pourrait être « grand » devient tragiquement minuscule…
Face à cette surexcitation du président français, les membres de l’Onu et de l’Otan impliqués dans le dossier libyen soupirent, et peinent à dissimuler leur embarras ou exaspération… Sarkozy crée le malaise, en ce moment où les partenaires étrangers de la « nouvelle Libye » s’évertuent à faire oublier leur massive implication dans la crise et à rendre aux nouvelles autorités de ce pays, l’entière paternité de leur « victoire ». Mais le président français n’en a cure, faisant fi de certaines règles élémentaires de la diplomatie internationale, autant qu’il ignorait les ressorts subtils de l’histoire des peuples en prononçant naguère son discours de Dakar. Pourtant Sarkozy et ses conseillers devraient savoir qu’il n’y a pas, aujourd’hui, pire manière d’aider la Libye que d’exalter le souvenir du protocole de l’alliance conclue entre les insurgés libyens et les puissances occidentales afin de libérer ce pays d’un régime que nul ne saurait objectivement défendre… Mais le président français n’est pas un adepte de la complexité. Rendre aux Libyens leur victoire : cette exigence élémentaire, tous les acteurs de cette crise l’ont assimilée, sans délai. Tous, sauf Sarkozy qui semble réduire une page majeure de l’histoire d’un pays – avec l’implication de l’opinion internationale – à ses seules nécessités personnelles et égotiques… A ce train, le président français pourrait devenir le meilleur ennemi d’un CNT qui contient déjà un début d’exaspération. De plus, à force de susciter l’embarras en clamant « sa » victoire en Libye, Sarkozy pourrait voir s’envoler tous ses espoirs d’un new-deal franco-libyen. En effet, ce comportement est voué aux pires déconvenues, dès lors qu’il méconnaît les capacités endogènes de la Libye, la détermination de ses habitants et leur viscéral attachement à leur espace national.
Aujourd’hui, à Tripoli, on peut déjà observer l’extraordinaire et soudaine transformation de la vie, avec ces habitants qui s’embrassent, affirment leur volonté de « se pardonner », ces jeunes qui s’organisent en « groupes de reconstruction » en s’appliquant à « réparer ce qui a été détruit », ces familles, toutes générations confondues, qui célèbrent « la liberté»… De nombreux jeunes Tripolitains qui, discrètement, avaient rejoint les rangs des combattants ne se cachent plus, et dévoilent la réalité d’une insurrection qui déborde largement le seul périmètre du CNT. Ces scènes tripolitaines, ignorées des médias – et donc des opinions téléspectatrices – sont déjà le reflet, la vérité d’une Libye accomplissant sa nouvelle naissance. Cette réalité-là rend dérisoires tous les arrangements « internationaux ». L’avenir de la Libye sera ordonnancé, essentiellement, par les habitants de ce pays. Et même s’ils se disent « sincèrement reconnaissants » envers la France pour leur « reconquête de la liberté », le président français devrait comprendre que, pour les peuples de ce désert africain, l’humilité est la mère de toutes les vertus. Et que la surcharge et l’excès sont de mauvais conseillers.
(1) Ne vous représentez pas ! Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy de Denis Jeambar, aux Editions Flammarion.
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Cher ami,
Je comprends ta détestation pour Sarkozy, chez qui l’inélégance semble le disputer à l’infantilisme nerveux. Mais la grossièreté de son discours ne peut annihiler la réalité des faits, sauf à ridiculiser Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères en même temps, qui, pour être moins Rastignac que de Villepin, ne parait pas moins méprisant. Le fait est que la France a mené les débats et qu’elle en retirera , cette fois-ci, quelques bénéfices, péri et post coloniaux. Même si mon strabisme divergent est agacé par le retour sur non-investissement à l’avantage de l’Italie, c’est toujours ça de pris, pour la conjoncture hexagonale.
L’honnêteté exige de faire le parallèle avec la guerre du Koweit, si l’on décide de s’en souvenir.
Les français vidaient les rayons des supermarchés (huile et sucre stockés) ainsi que les pompes à essence, terrifiés d’être envahis par un ennemi aussi peu nombreux que lointain … Le Président Mitterrand, Chef des Armées, venait expliquer à la messe télévisuelle (avant ou après avoir libéré sa vessie d’une prostate cancéreuse mais trop pudique pour le dire) comment la France combattait fièrement et courageusement avec ses 30 avions, là bas, dont chacun aura oublié qu’ils étaient cloués au sol puisque non munis de l’éclairage nécessaire aux raids nocturnes. A l’époque, le ridicule ne tuait pas, et surtout pas les « gens de gauche » alors que les bénéfices ne quittaient pas le camp anglo-américain !
Soyons moins Artaban, Francis, moins critiques, sauf à me rappeler quelle est la dernière des guerres gagnée par la France … ?
De mon point de vue, et tu le sais, la porte est béante pour l’islamisme radical : Iran bis … ?