Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

Crise libyenne – Une si vieille rancune…

C’est bien connu, Kadhafi cultive, clame et revendique une viscérale détestation de l’Occident. Cette haine avait trouvé dans la Guerre froide son meilleur champ d’expression. Les attentats de Lockerbie et du DC10 d’UTA constituèrent une étape cruciale de ce qui s’apparentait à la promesse d’une guerre sans fin. Au début de l’histoire, cette rancune fut le moteur de la « guerre de libération » qui l’amena au pouvoir. Elle alimentera sa « révolution » et sera la constante justification de son règne sans limite.

 Cette rancune, l’Occident la lui rendra à suffisance. Tour à tour en encaissant le coup – mauvaise conscience « impérialiste » aidant -, en l’attaquant frontalement – le bombardement diligenté par Ronald Reagan du quartier général du colonel libyen en 1986 -, ou en décrétant un long embargo à l’encontre du pays… Puis, finalement, au nom du pétrole, on estima juste et nécessaire de faire la paix avec celui que Reagan avait naguère qualifié de « chien enragé du Moyen-Orient », en réintégrant la Libye dans le concert des nations à partir de 2003… Les événements en cours actuellement sont venus confirmer l’impossible réconciliation entre le satrape du désert et ses ennemis-alliés occidentaux. C’est donc le dernier acte de cette confrontation, débutée il y a quatre décennies, qui se joue en ce moment-même dans les cieux libyens. La guerre à laquelle on assiste aujourd’hui entre la coalition internationale et les forces fidèles au Guide libyen était écrite d’avance. Kadhafi l’a programmée, souhaitée… Sa légende, exactement…

Au nom de la lutte contre les impérialismes, le colonel n’a pas ménagé ses faveurs durant des années, envers les luttes de libération et autres oppositions politiques aux régimes africains supposés associés aux intérêts occidentaux. Héraut de l’anti-impérialisme, il avait su séduire toute une génération dans les années 70 et 80. Une génération qui continue, aujourd’hui, d’entretenir une vision romantique du Guide de la révolution libyenne. Et, on le comprend : renier ce qu’on a sanctifié produit la même douleur qu’une amputation.

Maître dans l’art du paradoxe, soutenant l’ANC durant l’apartheid, tout en déployant vers le Tchad son projet expansionniste, Kadhafi a su toujours compter sur la mémoire de ceux dont il a opportunément acheté la fidélité. Assumant cette contradiction, Nelson Mandela s’est rendu auprès de lui en 1997, bravant l’embargo alors imposé alors à la Libye… Un geste politique fortement revendiqué par le leader de l’ANC qui n’a pas oublié le concours de Kadhafi à la lutte contre le régime de l’apartheid…

Et pourtant, l’adhésion à la « vision politique » d’un Kadhafi est devenue bien difficile au fil du temps. Secrètement, ceux qui lui ont décerné autrefois un certificat d’héroïsme, priaient intensément, afin que son parcours n’aboutisse pas, inexorablement, à une dégradation extrême du sens des choses. Las, comme on l’a vu en d’autres périodes de l’histoire et sous d’autres contrées, c’est le temps qui a imposé son verdict : incapable de renoncer aux délices du pouvoir et du primat de la force sur la raison, Kadhafi a succombé au pire… Je me souviens de ce film ancien, en noir et blanc « L’enfer était en lui », au début duquel le spectateur pouvait lire, en exergue : « Le crime n’est après tout, qu’une forme pervertie de l’ambition ». Kadhafi en a apporté la démonstration au fil de son règne sans fin, poursuivant aujourd’hui sa plongée en enfer, entraînant « son » peuple avec lui, promettant l’enfer à la coalition des nations qui se portent au secours de ce peuple… On peut le croire : l’enfer est en lui.

Il se trouve aujourd’hui encore des Africains pour soutenir la « cause » du colonel libyen. Comme sous l’empire d’un charme obscur, hypnotisés par le délire crépusculaire de cet homme, ils se refusent à souscrire à cette élémentaire équation : le secours porté à un peuple en danger avéré. Que signifie la légitimité d’un dirigeant, dès lors qu’il devient une menace fatale pour son peuple ? Il est vrai que, dans un monde où chacun porte désormais « sa » vérité en bandoulière, et où règne la confusion, voire l’inversion du sens, il est devenu bien difficile de s’en référer aux évidences primaires…

Dans cet écheveau, le Kadhafi, chantre de « l’unité africaine », est le même homme qui se présente aux yeux des Européens comme le vigile empêchant les hordes de « Noirs » (sic) de déferler sur leur continent. Les Africains noirs, servant d’instrument de chantage à l’égard de l’Europe : voilà ce qu’est devenue la « révolution » de Kadhafi. Le même Kadhafi, en guise de « contrepoids » à cette « collaboration » avec les Européens – par ailleurs anathématisés au gré des circonstances – déverse ses pétrodollars en Afrique sous forme d’investissements dont l’efficacité demeure, à maints égards, douteuse… C’est ce même homme qui, menacé par ses propres concitoyens, les livrent aux assauts meurtriers de mercenaires recrutés au sud du Sahara… Avec pour conséquence immédiate, l’exposition de tous les Africains de peau noire présents en Libye à toutes les formes d’agression sur le territoire libyen… Le même Kadhafi qui n’hésite pas, depuis vingt ans, à contre-courant de l’histoire, à soutenir les putschistes, au nom de son aversion proclamée pour la démocratie, un « complot occidental » – un de plus -, selon lui…

Cette manipulation assidue des contradictions dans le champ des relations internationales ne visent, in fine, qu’un objectif : la justification du territoire personnel et pérenne de ce sombre héros, l’éternelle célébration de sa personne… Cette structuration pathogène de la pensée d’un homme, portait en germe le chaos. Le parcours perverti de la « révolution libyenne » finit par en révéler la véritable destination : « transformer le pays en  rivière de sang », ainsi que l’a promis le fils du Guide, Saif El Islam… Comme l’a dit Kadhafi lui-même, « la Libye n’existait pas avant moi ». Dans cette logique, elle devrait alors disparaître avec lui… En vérité, que pourrait-on encore, au nom de je ne sais quelle diplomatie « civilisée »,  négocier avec un pouvoir de cette nature ?

Dans les coulisses, depuis des années, des membres de l’Union africaine qualifient souvent, Kadhafi de « véritable boulet ». Mais à l’heure où des forces internationales se portent au secours du peuple libyen, cette organisation se perd en conjectures et autres billevesées qui masquent mal une piètre allégeance à un homme qu’ils méprisent en secret, tout en lui manifestant publiquement leur fidélité. Passe encore que de nombreux chefs d’État africains se sentent redevables à l’égard de ce bienfaiteur autoproclamé « Roi des rois d’Afrique »… Il faut le dire : à l’heure où ce même homme part en guerre contre son peuple, choisir de le ménager au mépris de ce peuple relève du crime organisé. Les tergiversations de l’Union africaine ou de la Ligue arabe, leurs circonvolutions « diplomatiques » de mauvais aloi, leurs interprétations sophistiquées des objectifs fixés par la résolution de l’Onu sur la Libye, ne sont pas seulement inopportunes et honteuses. Elles sont criminelles… Une chose compte désormais : aider les Libyens à tourner la page d’un régime irrémédiablement toxique.

4 réponses à “Crise libyenne – Une si vieille rancune…

  1. simon elharrar 22 mars 2011 à 7 h 50 min

    toxique, pathogène et mortifère, mais/puisque pétrolifère
    ah, si ronald reagan avait été john wayne !

    • Pharel BOUKIKA 25 mars 2011 à 11 h 17 min

      Je suis deçu par cet aticle qui semble t-il, condamne le colonel Khadafi. Comment se fait-il qu’un intellectuel de votre envergure puisse faire une telle analyse partisane des imperialistes, vide de sens et sans une aucune vision critique?! C’est incroyable!!!!!!!!!

  2. Patrick Ertel 26 mars 2011 à 19 h 48 min

    Vous avez magistralement résumé le parcours pavé de contradictions du « Roi des rois ».
    Permettez-moi de vous soumettre mon dilemme qui est celui d’un français, résidant au Mali, et qui a noué avec l’Afrique des liens familiaux déjà anciens.
    Je pense avoir, au fil des ans et des lectures, globalement compris les mécanismes pervers qui ont maintenu l’Afrique dans une sujétion funeste aux nations, disons, nanties, ou néocolonialistes.
    Sans angélisme, ni aveuglement sur les responsabilités de certain Africains en la matière.
    L’ensemble de ces considérations m’ont conduit à être hostile à toute forme d’intervention de ce qu’on appelle improprement la « communauté internationale », là où je préfère parler d’une communauté d’intérêts économiques.
    J’espérais que les crises en Lybie et Côte d’Ivoire seraient gérées par les instances africaines et arabes. En effet les ambitions de notre président Sarkozy dans ces affaires me paraissent éminemment suspectes, notamment à cause de la proximité des élections de 2012.
    Par ailleurs je sais que les peuples d’Afrique ressentent les interventions étrangères, qu’elles soient militaires ou économiques (ici je pense aussi à la présence chinoise) comme des insultes à leur souveraineté. Et de plus force est de constater que les précédents afghans et irakiens ne sont pas de nature à soulever l’enthousiasme.
    Mais des peuples sont en train de mourir, et ma conviction sur la non-intervention de l’occident s’en trouve ébranlée.
    Va-t-il falloir une fois de plus se résoudre à un pis-aller dont on peut soupçonner que les effets, s’il y en a de positifs, ne seront que provisoires, et dont les effets négatifs, qui eux sont certains, risquent de radicaliser les positions extrémistes au sein des populations ?

  3. OLINGA 24 avril 2011 à 2 h 19 min

    Les faits d’abord et les interpretations et jugements ensuite. Ce qui parait assez etonnant, c’est que vous utilisiez l’argument attrape-nigaud du dirigeant qui tire sur sa population pour legitimer par la suite toutes sortes de propos devenus des lors insusceptibles de critiques. De quelle population s’agit-il? Celle qui manifeste si pacifiquement, les mains si etrangement nues que leurs roquettes s’abattent sur les autres populations? Celle que la novlangue appellent tour a tour civilem insurges et enfin rebelles? Vous accusez certains africains de soutenir Khadafi par refus de renier aujourd’hui ce qu’ils ont aime hier, en depit des faits qui devraient conduire a une autre position. Le meme reproche doit vous etre fait. Nulle envie de nier quelque exaction commise par le guide libyen par ailleurs mais vous semblez juger la situation actuelle sans tenir compte de la nature reelle de ce que l’occident presente comme population civile bombardee ou comme revolutionnaires. Sous le pretexte de punir des affronts anterieurs non digeres on viendrait legitimer ce qui a toute l’apparence d’un coup d’Etat? L’illusion de mouvement revolutionnaire spontane creee par la ressemblance avec la situation tunisienne et egyptienne s’estompe net des que le mouvement dit revolutionnaire prend les armes. La discussion pourrait et devrait se poursuivre…

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