Du 11 au 13 juin 2021 s’est tenu à Carbis Bay, au Royaume-Uni, le 47e sommet du G7 (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Japon et Canada). À l’issue de ce sommet auquel participait pour la première fois le président américain récemment élu, Joe R. Biden, le dirigeant français, Emmanuel Macron, avait déclaré, au nom de l’organisation :
« Le G7 n’est pas un club hostile à la Chine, mais un ensemble de démocraties qui entend travailler avec elle. Nous devons engager un dialogue exigeant avec les nouvelles autocraties. Ce sommet du G7 a permis de constater nos différences avec des démocraties devenues illibérales comme la Russie ». On pouvait noter les inflexions diplomatiques à l’égard de la Chine avec laquelle l’Union européenne se montrait disposée à « travailler », alors même que le ton demeurait plus intransigeant à l’égard de la Russie et autres « démocraties devenues illibérales ». Il faut dire que, depuis plusieurs années, les pays membres de l’Union européenne peinaient à adopter une ligne unique et commune face à la Chine. Alors que l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) qualifiait le rapport de ses membres avec la Chine de « défi systémique », les alliés européens et américains ne présentaient pas tous le même agenda – sur les plans diplomatique, commercial, voire culturel – vis-à-vis de la Chine. Cette dispersion politique renforçait d’autant plus la marche en avant d’une Chine conquérante, indifférente aux condamnations de principe des pays occidentaux sur les questions de démocratie et de droits de l’homme. Selon Emmanuel Macron, s’exprimant à l’issue de ce sommet du G7 de juin 2021, « Le G7 doit devenir une nouvelle alliance des démocraties, et en défendre les valeurs en tant que nouvel espace politique. » Trois décennies après la fin de la Guerre froide, ces paroles sonnaient comme l’expression publique d’un certain désarroi : celui de ces démocraties dites libérales prenant définitivement acte de l’impossible accomplissement de l’ordre démocratique mondial projeté, comme une évidence, aux lendemains de la chute du Mur de Berlin. En cette année 2021, l’ordre mondial s’apparentait davantage à un théâtre névralgique où, en certains lieux de la planète, les démocraties étaient appelées à justifier leur raison d’être. Trente ans plus tôt, les démocraties « occidentales » n’auraient imaginé devoir inscrire cette équation dans leur agenda. La « fin de l’Histoire » n’était qu’une vue de l’esprit. À présent, seule émergeait, dans sa tragique réalité, la matrice des chaos futurs.
Ce sommet du G7 aura été pour Joe Biden l’occasion de sa première tournée en Europe, sept mois après son élection. Parmi les points forts de cette tournée, sa rencontre avec son homologue Vladimir Poutine à Genève, le 16 juin 2021. Pour les observateurs, les relations entre les États-Unis et la Russie avaient alors atteint un degré de dégradation inédit depuis la fin de la Guerre froide. Quelques semaines plus tôt, lors d’une émission de télévision, répondant à la question d’un journaliste qui lui demandait si, selon lui, Poutine était un « tueur », Biden n’avait pas hésité à répondre par l’affirmative. Peu après, le dirigeant russe, invité à réagir, enfonçait le clou à sa manière, en répliquant dans un sourire : « Ainsi qu’on le disait quand nous étions jeunes, dans les cours de récréation, c’est celui qui le dit qui l’est ». Ambiance…
Plus sérieusement, le président américain, en rupture avec les rapports ambigus entretenus par son prédécesseur Donald Trump à l’égard de la Russie, s’était rendu à la rencontre de Genève avec Vladimir Poutine avec un véritable dossier à charge à l’encontre de Moscou. Parmi ces contentieux, la question ukrainienne, le soutien de Poutine à la satrapie biélorusse, la question des droits de l’homme incluant le sort fait aux opposants russes, notamment l’emblématique Alexeï Anatolievitch Navalny, sans compter les cyberattaques présumées contre les entreprises américaines, devenues, selon Washington, une marque de fabrique du système Poutine… En tout cas, la rencontre de Genève entre les deux hommes, en ce mois de juin 2021, était destinée à trouver entre les deux grandes puissances les moyens d’une coexistence pacifique… à condition que chacun ne campe pas sur son bon droit. Ce qui fut le cas, car cette rencontre se résuma, à bien des égards, à un courtois dialogue de sourds entre deux systèmes de pensées. À cette occasion, Alain Salles, chef du service international du quotidien français Le Monde, avait livré ce commentaire : « Ce sommet Poutine-Biden plaçait la Russie et les États-Unis sur le même plan, comme au temps de la Guerre froide. Le lieu rappelle un autre rendez-vous dans une autre superbe villa genevoise en 1985, où avait eu lieu la première rencontre entre Ronald Reagan et le secrétaire général du parti communiste soviétique Mikhaïl Gorbatchev, qui avait jeté les premières bases du désarmement entre les deux puissances. » S’agissant des inquiétudes de Washington face à la montée des régimes autocratiques, Alain Sall expliquait : « Poutine sait qu’il peut compter sur Pékin, partenaire plutôt fidèle à l’Onu pour s’opposer aux résolutions hostiles aux intérêts de Moscou au Proche-Orient, prêt à dénoncer les sanctions dont ils sont victimes. C’est un allié puissant dans son combat contre l’Occident, mais il s’agit d’un partenaire encombrant, comme un énorme vase, un éléphant dans la pièce. »
En toile de fond de la rencontre Biden-Poutine, la petite musique de l’Union européenne ragaillardie par la réactivation du multilatéralisme sous le sceau d’une alliance américano-européenne réanimée par Joe Biden, après l’inconfortable épisode Donald Trump. Le 21 juin 2021, aux lendemains de la rencontre Biden-Poutine à Genève, l’Union européenne allait réaffirmer sa position vis-à-vis de Moscou. Josep Borrel, vice-président de la Commission de l’Union européenne et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité énonça, telle une profession de foi : « Face à la Russie, l’Union européenne doit être capable de riposter, contraindre et dialoguer ». Voilà donc proclamés, hors de toutes subtilités diplomatiques, les termes du conflit.
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Depuis les déclarations de Poutine en 2004, la constitution méthodique d’un système russe a-démocratique, ne dédaignant pas le recours à des méthodes de répression dignes de la dictature soviétique, a progressivement creusé un fossé idéologique entre la Russie de Poutine et ses voisins européens, et plus loin, le grand rival américain. En juin 2021, lors de la rencontre entre Vladimir Poutine et son homologue Joe Biden récemment élu, ce dernier jugeait « non négociables » les principes de respect des droits humains et de l’État de droit. Commentant ce tête-à-tête exceptionnel, Michael McFaul, ancien ambassadeur des États-Unis à Moscou entre 2012 et 2014 avait estimé qu’« à en juger par ses actions, Poutine ne veut pas d’une relation stable, prévisible ou normale avec Washington. Il a besoin des États-Unis comme ennemi ». Cette confrontation entre les options russes et les « nations démocratiques » serait donc devenue le principal outil de l’affirmation de l’influence de la Russie de Poutine sur la scène internationale. La question est de savoir quel en sera le coût, en termes de vies humaines altérées, de libertés anéanties, et aussi de désordres internationaux orchestrés et entretenus, au nom d’un insoutenable dogme autoritaire mâtiné d’une singulière conception de la « fierté russe ». Il faut, sans détour, poser cette question, tout en retenant que les injustices, les inégalités sociales et les entorses aux droits humains ne sont pas l’apanage des seuls régimes autocratiques. Osons poser cette question sans jamais absoudre les grandes démocraties de toutes les funestes actions et options politiques dont elles ont été, elles aussi, les auteurs au cours de notre histoire contemporaine. Ce faisant, les grandes démocraties ont, elles aussi, jeté de lourdes hypothèques sur la dynamique des relations internationales et le renforcement du droit international. Il faut néanmoins s’interroger sur les conséquences potentielles de cette confrontation inédite entre démocraties et nouvelles autocraties, afin d’en évacuer la charge tragique. En se rappelant que les tensions d’aujourd’hui préparent les guerres de demain.
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Extrait de « Blues démocratique – 1990-2020 », Francis Laloupo
Ed. Karthala, Avril 2022
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