Ainsi donc, les Béninois regardent s’évanouir, irrépressiblement, leur démocratie. Près de trente ans après l’avènement du Renouveau démocratique, Robert Dossou, ancien ministre et ancien Président de la Cour constitutionnelle, déclarait le 13 avril dernier, arguments à l’appui : «Au Bénin, nous ne sommes plus en démocratie». Verdict amer d’un avocat qui fut l’un des artisans de la Conférence nationale qualifiée en 1990 de «miracle béninois». Voilà donc que, dans un pays où le jeu des alternances politiques s’est déroulé de manière régulière et apaisée depuis trois décennies, les Béninois sont invités à se rendre aux urnes le 28 avril prochain pour des élections législatives, en l’absence de toute formation de l’opposition. Tous les partis de l’opposition ayant été exclus de cette compétition, les électeurs auront donc le choix entre deux formations «jumelles» dévolues à la cause du chef de l’Etat, Patrice Talon, au pouvoir depuis 2016. Cette configuration résulte de la mise en place d’un code électoral revisité et d’une nouvelle Charte des partis, le tout issu d’une Assemblée nationale et d’une Cour constitutionnelle caporalisées par le pouvoir, et complété par des manœuvres discriminatoires à l’encontre des adversaires politiques. C’est l’aboutissement d’une manipulation, aussi cynique que méthodique, des institutions et des administrations, sur fond de corruption systémique et d’une redoutable captation de tous les leviers du pouvoir – économiques, politiques et institutionnelles – par un régime dont l’agenda se défie des acquis démocratiques, de la sociologie et des logiques politiques propres à ce pays.
Un projet est à l’œuvre au Bénin, imperceptiblement : une offensive en règle contre un système démocratique considéré par les citoyens de ce pays comme un «patrimoine collectif», à savoir une démocratie conquise et portée par l’ensemble des citoyens. Cette démocratie ne provient pas d’une greffe ou d’un décret. Elle est l’émanation d’une cause commune. L’ignorer serait se tromper d’histoire, ou attenter délibérément à l’intégrité d’une collectivité nationale et à sa réalité historique. Depuis l’accession au pouvoir du Président Patrice Talon, la situation en cours dans le pays ne doit rien au hasard. Un projet politique impose son empire. Un projet issu d’un penchant prononcé pour le «modèle rwandais» de Paul Kagamé, complété du retour d’un refoulé, celui de la mémorable «démocratie sans partis» chère naguère à l’Ougandais Yoweiri Museveni. Mais le Bénin n’est ni le Rwanda, ni l’Ouganda. Les logiques internes qui ont forgé son histoire ne sauraient être contournées, et moins encore ignorées par un régime dont la légitimité résulte d’une élection, autrement dit de la volonté populaire. Par conséquent, contourner cette volonté populaire reviendrait à se départir de la légitimité qui en découle.
Aujourd’hui, c’est donc une forme d’autocratie décomplexée, jusqu’ici inconnue au Bénin, qui impose son bon droit. Ceci se manifeste notamment par une brutalité politique déconcertante, un penchant prononcé pour l’exclusion de tout adversaire – politique et économique – de l’espace national, alors même que l’homme d’affaires qui préside depuis 2016 aux destinées du pays se trouve être le détenteur des plus grands secteurs de l’économie nationale. Alors que se révèle ce «projet de société», certes encore confus, les couches les plus fragiles de la population sont les premières victimes d’une conception de la gestion de l’économie nationale marquée par de rares violences sociales. Il n’est d’ailleurs pas impossible de deviner, au travers des actes posés par ce régime, une funeste et convulsive fascination pour les apôtres de l’«autoritarisme compétitif» ce dogme nouveau, cousin germain de l’illibéralisme populiste, dressé contre les démocraties traditionnelles, et qui privilégie la force autocratique au service de l’ultralibéralisme, au dépens des libertés et des droits individuels et collectifs. Voici donc venu au Bénin le temps de la caricaturale et matoise version d’un «autoritarisme compétitif». Ainsi, dans ce pays d’Afrique où l’Etat providence devrait constituer un moteur du développement, le régime du Président Talon prône la limitation du droit de grève et se flatte d’assouplir les procédures de licenciements en faveur des entreprises… Observant ce «projet politique», le Parti communiste du Bénin (PCB) avait en janvier 2018 mis en garde les citoyens béninois contre la théorie de la «dictature dite de développement» perceptible dans le discours de l’actuel de chef de l’Etat. Une dictature de développement ainsi explicitée : «Pour se développer, il faut un Etat fort ; un Etat dictatorial qui élimine la démocratie ou la mette entre parenthèses. La démocratie est antinomique avec le développement. La démocratie n’est bonne que pour les Etats déjà développés».
Est-ce alors cette dictature de développement qui a présidé aux diverses manœuvres ayant abouti à cette effarante configuration politique, où seules deux formations politiques parrainées par le chef de l’Etat – Bloc Républicain et Union progressiste – sont autorisées à se présenter aux législatives du 28 avril 2019 ? A quoi ressemblera une Assemblée nationale habitée par des députés partageant le même crédo et la même allégeance au pouvoir en place ? Mécaniquement, l’affaire ressemble, à s’y méprendre, à la restauration du Parti unique que l’on croyait définitivement exclu de tous les schémas et projections politiques imaginables sous les cieux béninois.
Panne démocratique ? Fracture ou vicissitude ? Difficile pourtant d’imaginer un recul durable du processus démocratique dans ce pays. Lors d’une prestation télévisée le 11 avril dernier, le Président Talon, plutôt que de produire une solution politique à la crise, a choisi, à coups d’arguments aléatoires, de justifier des élections organisés sous le sceau du monolithisme politique. Interprétant subjectivement la loi pour justifier l’injustifiable, le Président aura simplement dévoilé ses propres choix et orientations. S’il fallait encore le prouver, il aura confirmé le poids de son action dans la situation aujourd’hui décriée. Car, en toute logique, quelles que soient les interprétations que l’on en fait, une loi qui aboutit à la négation de la démocratie est, forcément, une mauvaise loi. Il faut donc, en toute logique, la changer. Pour sauvegarder la paix sociale et le Renouveau démocratique qui fait l’exception béninoise. Toute attitude contraire s’apparenterait à une atteinte à l’intégrité historique et politique de ce pays. Pour l’heure, aux protestations des foules, le pouvoir a choisi de répondre par le déploiement d’un dispositif policier et militaire de grande ampleur, pour, dit-on, «prévenir les troubles». Un choix aux lourdes conséquences politiques
«Comment en est-on arrivé là au Bénin ?» Cette question me fut maintes fois posée par mes interlocuteurs lors de mes récents déplacements en Afrique. Même au Togo voisin considéré comme la lanterne rouge des processus de démocratisation, l’opinion s’en trouve déconcertée, et il n’est plus rare d’entendre des radios privées togolaises prodiguer des leçons de bonne conduite démocratique aux autorités béninoises.
L’histoire retiendra les images incroyables de deux anciens chefs d’Etat du Bénin – Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi -, avec à leurs côtés l’ex première dame Rosine Soglo, doyenne de l’Assemblée nationale, au milieu d’une foule de manifestants, obligés de battre en retraite, le 19 avril dernier, protégés par leurs gardes du corps, pour échapper aux tirs de gaz lacrymogènes. Cette réponse policière aux appels à la raison est symptomatique de la tragédie en cours au Bénin.
Francis Laloupo
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Francis, merci pour ce texte.
Concernant le gazage des Ex-présidents, c’etait juste l’étincelle qu’il ne fallait pas allumer.
Mais trop tard pour ce pouvoir.
C’est le point de vue qui manquait… Merci Francis!
Un excellent décryptage! Merci!
Merci pour cette analyse, Monsieur. Il le fallait.
Il ne parle pas du Bénin où je vis. Qu’il vienne au pays faire ses investigations dans les marchés du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, dans les gares routières et pourquoi pas à la sortie des mosquées et des églises recueillir les pensées et jugements du vrai peuple.
Vous n’avez rien compris . Vivant à l’extérieur on comprend mieux ce qui se passe au Bénin
Et Mr Laloupo est un journaliste d’investigation . IL n’invente rien
Le texte aurait mieux gagné à être argumenté, nous laissant la possibilité de faire notre propre idée sur la chose. Votre distance physique n’a manifestement pas eu raison de votre proximité émotive citoyenne, malheureusement.
Toujours est-il que le problème reste entier, et le devoir d’une information pédagogique se doit d’être assumé. Le 28 avril 2019 ne sera qu’une étape, le début d’un autre cycle politique. Les besoins d’information seront loin d’être éteints. Nous resterons dans l’attente d’une évolution moins dramatique des choses. L’exemple et la chance démocratiques du Benin vont certainement avoir besoin d’un éclairage lucide aseptisé; le vôtre sans doute.
PSA