L’année dernière, nous avions relevé, ici, l’inquiétante dégradation de la situation politique et sociale au Bénin. Au cœur de l’actualité béninoise, la défiance grandissante de l’opinion envers le chef de l’Etat dont les actes sont devenus, au fil du temps, indéchiffrables pour le commun, provoquant mille interrogations et suscitant la préoccupation et, aujourd’hui, un sentiment de rejet de plus en plus marqué de la part de ses concitoyens. A quelque deux ans de la fin du mandat du président béninois, l’on assiste dans ce pays à la multiplication de facteurs constitutifs d’une crise politique d’un genre inédit. Comment en effet comprendre qu’en dépit du bon sens, le dirigeant d’un pays décide de produire, ex nihilo, un conflit entre sa personne et ses concitoyens, y compris au moyen d’arguments puisés dans le bréviaire éculé des autoritarismes obsolètes, en total décalage avec la réalité historique et sociologique de son pays ? Pour les Béninois, une question demeure sans réponse : quels sont donc les véritables desseins du président Thomas Boni Yayi dont les actes confinent désormais au délire et aux pires extravagances ? Pour saisir la portée de cette interrogation qui hante la société béninoise, nous reproduisons ici, avantageusement, un texte publié par notre très estimable confrère Maurice Chabi, observateur particulièrement avisé, témoin des évolutions de l’histoire politique du Bénin depuis quatre décennies… Un texte édifiant et très éclairant sur les tenants de l’étrange malaise béninois à l’heure actuelle, et sur ce chef de l’Etat qui, comme l’écrit Maurice Chabi « ne peut entendre, encore moins comprendre un peuple béninois avec qui il parle certes la même langue, mais pas le même langage ». Un signal d’alerte que nous relayons, nécessairement. Bonne lecture.
Francis Laloupo
Yayi Boni, le prédateur de la République – Par Maurice Chabi*
« Je vais faire venir les miens de l’intérieur du pays, je ferai sortir mes supporters pour croiser le fer avec mes adversaires politiques, et on verra qui va gagner la bataille… » On était le 1er Août 2012. Devant des journalistes de la presse nationale qui l’interrogeaient le jour de la fête nationale, Yayi Boni, président de la République a lâché cette phrase qui, dix huit mois plus tard, fait toujours froid dans le dos. J’étais pétrifié devant le petit écran, bouillonnant de colère, et priant tous les dieux pour que ces paroles infâmes ne fussent que des extraits furtifs d’un regrettable cauchemar. Moins de deux ans plus tard, le chef de l’Etat récidive. Devant un parterre de jeunes Béninois venus lui présenter les vœux, et parlant des syndicalistes assimilés maladroitement à des adversaires politiques qui lui donnent le tournis et l’empêchent de sévir tranquille, Yayi Boni, visiblement décontenancé et au bord de la crise de nerfs tempête et menace : «Ils sont tous dans ma main ; je les observe. Le jour où je vais bondir…. »
Le 1er Août 2012, j’étais en colère devant la violence et la gravité des propos du chef de l’Etat. Aujourd’hui, je ne suis plus en colère. J’ai simplement de la pitié. D’abord pour les millions de Béninois qui font aujourd’hui les frais du choix d’un diable qu’ils avaient pris pour un Saint. Ensuite de la pitié pour celui en faveur de qui j’ai envie d’implorer le ciel et dire : « Pardonne-lui ces blasphèmes car il ne sait pas ce qu’il dit ». A l’évidence, et sous les coups de boutoirs du peuple brimé, affamé, martyrisé qui ne veut plus se taire, le chef de l’Etat, pris de panique, ne sait plus quoi faire. L’a-t-il d’ailleurs jamais su ? Lui qui, dans ses rêves les plus fous n’a jamais pensé entrevoir les locaux du palais de la Marina autrement qu’en arpentant ses couloirs. Le voilà propulsé à la tête d’un pouvoir dont il ne cerne pas tout à fait les contours, n’en connaît pas la valeur ni les enjeux. C’est sans doute cette inculture politique qui explique les errements de langage et autres convulsions comportementales qui traduisent de la part du président de la République, une méconnaissance totale des règles élémentaires qui régissent le fonctionnement d’un état démocratique. Ainsi, répondant aux syndicalistes qui, avec raison, parlent du maintien des droits et avantages acquis par les travailleurs, Yayi Boni n’éprouve aucun état d’âme pour s’interroger : « De quels acquis parlent les travailleurs ?… » Nonobstant ses responsabilités et prérogatives de chef de l’Etat, ces propos sont indignes d’un Homme, un humain tout court; à moins qu’à la place du cœur, la nature l’ait affublé d’une pierre.
Le Bénin est aujourd’hui à la croisée des chemins, plongé dans une crise dont l’ampleur dépasse les frontières d’une économie nationale en déconfiture. Les grèves perlées qui touchent de grands secteurs de la vie économique et sociale sont en passe de paralyser le pays tout entier. Jusqu’à nouvel ordre, le seul et unique représentant élu du peuple demeure le chef de l’Etat qui a la responsabilité d’apporter des réponses aux préoccupations du peuple. D’où l’impérieuse nécessité pour le chef de l’état d’instaurer avec ce peuple ou ses représentants un dialogue franc qui passe par la restauration de la confiance. Or, pour dialoguer, il faut parler le même langage. Le monologue débité par Yayi Boni devant les jeunes est peu rassurant ; tant dans le fond que dans la forme. Et ce n’est pas faire injure au premier magistrat du Bénin que de s’interroger sur l’état réel de sa santé mentale. Car à l’évidence Yayi Boni vit dans un autre monde, le sien, qui est à mille lieues des réalités d’une société moderne et démocratique dans laquelle le président de la république est à l’écoute et au service du peuple. Or, Yayi Boni a toujours compris ses fonctions comme celles d’un roi nègre, omnipotent, un féodal autoritaire et un père fouettard qui distribue les bons et les mauvais points à des enfants qui se doivent d’être bêtes et disciplinés. En clair, et sans faire de la psychanalyse au rabais, Yayi Boni est en proie à une crise de civilisation qui le met en porte-à-faux avec la société qu’il est censé diriger. Dès lors, il ne peut entendre, encore moins comprendre un peuple béninois avec qui il parle certes la même langue, mais pas le même langage. On comprend dès lors que, las des velléités de rébellion de ce peuple qui refuse obstinément de faire allégeance à son roi, le Président agacé choisisse la voie de la confrontation à celle de la négociation pour désormais apparaître comme le prédateur de la République.
*Maurice Chabi, ex-Directeur de « La Nation » (Quotidien gouvernemental), Fondateur et directeur du journal indépendant « Les échos ». Actuellement directeur du cabinet « International Media Consulting ». Correspondant au Bénin de « Reporters sans frontières ».
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Article interessant même si je ne suis pas d’accord à 100%
voilà un très bon article sur le Bénin qui ne manque pas de pertinence!