Ce nouvel Etat né de la volonté de la communauté internationale, y compris celle de l’Union africaine, n’a pas connu un seul jour d’apaisement depuis la proclamation officielle de son indépendance en juillet 2011. Après la poursuite d’un conflit aux motifs divers avec son voisin du Nord, c’est à l’intérieur même du pays que l’on assiste depuis quelques jours à la structuration d’une crise qui prend les allures d’une redoutable fabrique de guerre civile. Une crise née de rivalités politiques, alimentée par des antagonismes ethniques, faute d’arguments et de repères politiques éprouvés dans ce qui s’apparente à un ectoplasme d’Etat. Forcément, la situation qui prévaut actuellement à Juba, capitale du Soudan du Sud, amène à se demander si la communauté internationale, mue par la nécessité de résoudre un interminable conflit au Soudan, n’a pas, en lieu et place d’un nouvel Etat africain, créé un nouveau monstre politique.
Il est vrai, qu’avant l’application de la solution séparatiste au Soudan, le monde aura assisté à l’une des guerres les plus meurtrières du siècle dernier, avec le bilan historique de 2 millions de morts. En fait, deux lourdes séquences de guerre civile entre le Nord et le Sud du Soudan auront marqué l’histoire de cette région : l’une de 1955 à 1972, l’autre de 1983 à 2005, date à laquelle un accord de paix fut signé entre les deux parties. L’implication graduelle de la communauté internationale aura permis de légitimer la revendication autonomiste du Sud. Les Etats-Unis s’impliquèrent fortement dans ce dossier, notamment au sein du Conseil de sécurité de l’Onu, pour défendre la thèse de l’indépendance du Soudan du Sud, n’hésitant pas, sous la présidence de George W. Bush à privilégier l’argument religieux. A la Maison Blanche, le dossier du Soudan fut alors essentiellement abordé sous l’angle suivant : l’impossible cohabitation entre les chrétiens persécutés du Sud du Soudan et leurs voisins du Nord promoteurs d’un islam dominateur, brutal et exclusif…. Au terme d’un impressionnant activisme de la diplomatie internationale associant les Nations Unies, les Etats-Unis et les pays membres de l’Union africaine, et malgré la résistance et les manœuvres de contournement et d’empêchement du gouvernement soudanais de Khartoum, la séparation fut consommée entre les deux parties du Soudan, et le Soudan du Sud obtint son indépendance le 9 juillet 2011.
Un nouvel Etat fut ainsi créé sur les décombres de la plus longue guerre civile de l’histoire contemporaine du continent. Le Soudan du Sud, à l’heure de son indépendance, se présentait comme un espace d’extrême désolation : délabrement, misère, absence d’infrastructures, administration inexistante, une part notable des ressources humaines exilées… Le tout avec une classe politique dont la culture politique emprunte davantage à l’organisation des maquis qu’à la gestion d’un Etat. Comme une sombre célébration de sa naissance du Soudan, du Sud, un nouveau conflit allait surgir entre le jeune Etat et son voisin du Nord. A la source de ce regain de violences, l’épineuse question du partage de la gestion et des revenus du pétrole entre le Sud hébergeant les champs pétrolifères, et le Nord qui détient les pipe-lines… Autre motif de ce conflit : l’absence d’accord entre les deux parties sur le tracé frontalier… Deux questions élémentaires se posent alors, quant au dossier du pétrole : comment demander à Khartoum de renoncer à cette manne jusqu’alors indissociable de son économie ? Et comment imposer, à la manière d’une clause dérogatoire, au Soudan du Sud indépendant, la gestion conjointe, avec son voisin et ennemi du Nord, d’une ressource relevant désormais de sa souveraineté territoriale ? Plus de deux ans après la séparation entre le Nord et le Sud, les mêmes contentieux subsistent entre les deux pays… Toutes choses non résolues avant la création, soumise au chronogramme de la communauté internationale, d’un Etat précaire.
Le contentieux pétrolier ainsi que celui lié au tracé frontalier entre les deux Soudan amènent alors à s’interroger sur les méthodes de gestion des crises par les experts de la diplomatie internationale : eu égard aux motifs qui les sous-tendent, comment n’avoir pas pris en compte l’extrême prévisibilité de ces conflits dans la mise en place du protocole d’émancipation du Soudan du Sud ? Comment a-t-on pu conclure l’indépendance de ce territoire, sans avoir soldé, ne serait-ce que la question du tracé frontalier ? Les ressorts, méthodes et arcanes de la diplomatie internationale sont parfois déroutants… Toujours est-il qu’après plusieurs cycles de négociations conduites par l’Union africaine, et malgré plusieurs accords de cessation des hostilités signés par les deux parties en conflit, la tension demeure intacte entre les deux Soudan… Après des années de guerres, et malgré la séparation des deux territoires, la question demeure intacte : les deux Soudan pourront-ils un jour cohabiter en paix ?
Alors même que cette question demeure pendante,c’est donc à l’intérieur même du jeune Etat que s’invite actuellement une crise de tous les dangers. En trois jours, entre le 15 et le 17 décembre, des combats entre factions rivales de l’armée ont fait pas moins de 500 morts. Des combats qui, selon les autorités du pays, auraient été déclenchés par une tentative de coup d’Etat ourdi par l’ex-vice président Riek Machar, rival politique du chef de l’Etat, Salva Kiir. L’Onu se dit « très préoccupée » – on le serait à moins ! – par une situation qui, selon le secrétaire général Ban Ki-moon, « pourrait se répandre dans tout le pays ». Toutefois, il importe de noter que l’épreuve de force engagée par l’ancien vice-président Riek Machar avec le président Salva Kiir n’est que la manifestation immédiatement intelligible d’une réalité bien plus cruelle : l’absence de fondements institutionnels, économiques et structurels dans ce qui demeure, à maints égards, une fiction d’Etat. Issu d’un référendum « managé » par la communauté internationale, le Soudan du Sud n’est, pour l’heure, qu’une construction politique que les différents acteurs-thérapeutes internationaux tentent avec une rare témérité de transformer en vérité historique.
Le Soudan du Sud va-t-il basculer dans la guerre civile, un peu plus de deux ans après sa naissance ? Voilà donc un nouveau chantier de crise pour l’Union africaine, qui s’est déjà beaucoup dépensée – et a même beaucoup dépensé – pour apaiser le conflit entre les deux Soudan… Cependant, difficile de croire que ceux qui, aujourd’hui, à Washington comme à Addis Abeba, tentent d’éteindre l’incendie à Juba n’avaient pas envisagé le scénario qui se déroule actuellement. Tous savent que ceux à qui l’on a confié les clés de ce nouveau pays n’étaient pas en capacité de le conduire sous les meilleurs auspices. A l’heure où la violence étend son empire à Juba, les médiateurs se trouvent confrontés à cette difficile équation : à quoi servira une énième mission de médiation auprès d’une classe politique soudanaise qui, en dépit de tous les protocoles de résolution de crise, n’a pas vocation à gouverner convenablement un pays ?
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