Un chef d’Etat pourrait largement se contenter d’une guerre en l’espace d’un mandat. Surtout si celle-ci a abouti à un résultat honorable, tout en ayant bénéficié d’un large soutien de l’opinion nationale et internationale. Après le succès de la guerre au Mali, François Hollande aurait dû méditer cette règle de la politique, avant de franchir le Rubicon d’une déclaration tonitruante d’hostilités à l’encontre du régime de Bachar Al-Assad. En quelques jours, le crédit engrangé avec l’intervention française au Mali aura été dramatiquement dilapidé par l’implication, sans réserve, de l’Elysée dans un projet d’offensive militaire en Syrie. Une attitude encouragée et malencontreusement alimentée par des conseillers contestables et un ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui semble bien souvent confondre la diplomatie déclarative et les conséquences d’une action armée sur le destin d’une nation. François Hollande devrait, en ce qui concerne la gestion de la paix et de la guerre, moins se fier aux fiches de ses conseillers… La gestion de cette affaire – une intervention militaire présentée comme « imminente », puis reportée sine die – deviendra-t-elle l’une des erreurs politiques majeures du mandat de François Hollande ?
Comment pouvait-on annoncer l’imminence et la « nécessité » d’une intervention contre le régime de Damas, accusé d’avoir « gazé » un millier d’innocents, alors même que les enquêtes menées par les inspecteurs de l’ONU n’étaient pas achevées ? Comment, en somme, politiquement énoncer le verdict d’un procès non encore conclu ? Et même si ces accusations se fondaient sur un « faisceau de preuves », pourquoi n’avoir pas souscrit à cette obligation élémentaire de la politique internationale : attendre les conclusions des enquêtes de l’ONU, garante de l’ordre international ? Comment, enfin, n’avoir pas pris en compte, dans la « mise en scène » de ce projet d’intervention, la genèse de la crise syrienne vis-à-vis de laquelle la fameuse communauté internationale est demeurée impuissante depuis deux ans, consacrant l’échec patent de l’ONU ? Comment ce qui fut impossible depuis deux ans – notamment du fait du veto russe et chinois – deviendrait soudain possible, au nom d’un sursaut « d’indignation » lié à l’usage d’armes chimiques ? Une telle approche expose forcément ses auteurs à des déconvenues « structurelles » dans la mise en œuvre du projet.
Par ailleurs, le choix des mots, dans cette déclaration de guerre aura été des plus hasardeux. François Hollande a donc décidé de « punir » un régime étranger. Punir ? Quels que soient les méfaits commis par Damas – et ils sont légion -, rien n’autorise un pays à se comporter en dispensateur de châtiments. A moins de s’ériger en « correcteur » impérial et en donneur de leçons – attitude régulièrement stigmatisée par Hollande lui-même – au nom de « valeurs » imposables au reste du monde. Cette hiérarchisation des « valeurs » constitue, quoi qu’en disent les conseillers de l’Elysée, la marque d’une arrogance, d’un complexe impérialiste « occidental » de plus en plus insupportable pour les opinions. De plus, cette rhétorique est de nature à corrompre toute action politique et à en détruire la justification. Si la nature toxique du régime de Damas n’est plus à démontrer, l’annonce d’une action militaire fondée sur des arguments mal maîtrisés et sur un calendrier qui emprunte davantage au prétexte qu’à l’action politique légitime, a produit le plus terrible effet pour l’Elysée : la défiance de l’opinion vis-à-vis de la décision présidentielle. 64% des Français se disent opposés à toute intervention armée en Syrie.
François Hollande, parti en guerre plus vite que ne l’exigeait la musique internationale, aura fait preuve d’une incroyable imprudence. Pourquoi n’avoir pas pris le temps d’une gestion graduelle de la situation ? Pourquoi n’avoir pas pris le temps d’analyser et d’étudier divers scénarios dans la perspective d’une intervention forcément internationale – la France ne peut, seule, se lancer dans une guerre dans le contexte complexe de la Syrie -, avant d’annoncer l’inéluctabilité d’une action militaire en Syrie ? Faute d’anticipation, Paris s’est contenté de prendre acte du désaveu infligé par le Parlement britannique au Premier ministre David Cameron privé d’une guerre qu’il aurait tant aimé mener aux côtés des Américains. Suite au retrait « légitimé » de la Grande-Bretagne du projet d’une coalition occidentale contre la Syrie, la France s’est donc retrouvée, à la manière d’une ironie de l’Histoire, seule grande alliée des Etats-Unis dans une affaire de plus en plus confuse. On croit rêver lorsque John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, annonce sans rire, le 28 août dernier, le nombre des alliés des Etats-Unis « prêts à frapper Damas », à savoir, en plus de la France, l’Australie, l’Arabie Saoudite et le Canada. Une bien maigre « coalition »… Coup de théâtre le 31 août : alors que l’on disait l’intervention imminente, la Maison Blanche, après avoir salué l’engagement dans cette aventure de son « vieil allié » français, opère un revirement en décidant de consulter le Congrès avant tout engagement militaire en Syrie. A l’Elysée, on affirme alors que Barack Obama, avant de prendre cette décision-surprise, en aurait informé François Hollande. Une décision qui, malgré la « ferme condamnation » du régime de Damas par Obama, révèle les ressorts de l’actuelle politique de la Maison Blanche : pas question de mener une guerre sans l’appui de l’opinion. Paris, cruellement esseulé, devra attendre la décision… du Congrès américain.
L’affaire tourne au désastre politique, avec pour conséquence un affaiblissement fâcheux de l’autorité de l’exécutif français. Du coup, dans un pays où l’article 35 de la Constitution confère au président la gestion quasi exclusive de la politique étrangère et donc de la guerre, une partie notable de la classe politique – à droite et à gauche -, de plus en plus réservée à l’égard de la décision présidentielle, réclame au chef de l’Etat de soumettre le dossier au vote du Parlement. La Constitution française prescrit que le gouvernement est tenu d’informer le Parlement d’une action de guerre au plus tard trois jours après son déclenchement. L’intervention dont l’imminence fut annoncée ou suggérée durant la semaine du 26 août, est devenue incertaine à la fin de cette même semaine, après le coup de théâtre américain. A l’heure où nous publions ces lignes, Paris est tenu de réviser, de fond en comble, sa stratégie et sa communication sur ce dossier. En cas d’un refus de l’intervention par le Congrès américain, difficile d’imaginer la France s’engager seule sur le terrain militaire en Syrie. L’équation syrienne est bien éloignée de celle du Mali… Au regard de la conduite à tout le moins calamiteuse du dossier syrien par l’exécutif français, est-il encore possible pour ce dernier de se dérober à l’avis – au jugement – du Parlement ? Tout compte fait, le mieux qui puisse désormais arriver à François Hollande, serait d’essuyer un rejet massif, par les élus, de ce projet de guerre en Syrie, dont l’objectif, à tout le moins fumeux, consisterait à seulement « punir » un régime « sans le renverser », tout en fournissant des armements à une indéfinissable opposition syrienne qui, elle, se bat pour renverser ce même régime… Si la conduite de cet embrouillamini syrien suscite la consternation, la voie et les voix du Parlement pourraient, paradoxalement, constituer pour le président français, la meilleure porte de sortie de cette lamentable affaire. Tout comme pour David Cameron en Angleterre et, peut-être bientôt pour Barack Obama aux Etats-Unis. Au terme de cet épisode de la vie nationale française, le sentiment prévisible d’une lamentable séquence inscrite dans le mandat présidentiel en cours.
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bonjour, francis
il me semble que la canada s’était désengagé, le premier, du projet
ton article serait habilement valorisé par une caricature de feu daumier
une allusion, peut être, aux résultats franco-français des actes présidentiels de l’année passée ?
des jeux et du pain, pour le peuple
on a eu taubira, mais il manque le pain …
Je pense que la France s’est aventurée dans ce conflit par pur opportunisme derrière les USA.
La réalité sur le terrain et le rapport des forces imposé par la RUSSIE/IRAN notamment font que toute action militaire des occidentaux sont illusoires voir même suicidaires. La Russie a largement le dessus sur ce conflit qui rappelons-le oppose en réalité la RUSSIE vs USA par alliés interposés.
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