Deux dates à retenir, parmi d’autres, cette année : le 28 janvier 2013, visite en France du président camerounais Paul Biya, et le 8 avril, celle, toujours en France, de son homologue congolais Denis Sassou Nguesso. D’abord, le séjour français du président camerounais Paul Biya. Une visite dite « de travail » pour en signifier le caractère « non politique ». Par conséquent, sa rencontre avec son homologue français au Palais de l’Elysée n’allait être qu’un intermède courtois dans un agenda voué, pour l’essentiel, aux réunions entre la délégation camerounaise et les « opérateurs économiques ». Objet de ce premier séjour à Paris du dirigeant camerounais depuis l’élection de François Hollande, selon la délégation : « évaluer les intérêts économiques de la France au Cameroun, au travers des activités et du volume des investissements des entreprises françaises dans le pays ». Mais derrière cet énoncé officiel se profilait un autre enjeu, autrement plus entortillé : faire la démonstration du lien « indéfectible », voire obligé, entre les deux pays.
Autrement dit, rappeler qu’au-delà des discours critiques de Paris dirigés contre certains régimes, dont celui du Cameroun, la France ne saurait mettre en péril ses intérêts dans ce pays d’Afrique centrale. Alors même que le nouveau locataire de l’Elysée avait émis des réserves vis-à-vis de certains pouvoirs africains peu respectueux du jeu démocratique et des libertés fondamentales, la question était de savoir comment François Hollande allait, au nom des obligations diplomatiques internationales, « gérer » la sensible équation de la sauvegarde des intérêts français dans ces pays, tout en se conformant aux principes énoncés au début de son mandat, s’agissant de la mise en œuvre d’un nouveau protocole relationnel entre Paris et ses partenaires africains… Pour le chef de l’Etat camerounais, ce projet de visite en France, assidûment négocié auprès de l’Elysée, relevait du test et… du pari. Objectif : démontrer au bon peuple camerounais que son dirigeant jouissait toujours et encore de la « considération » du dirigeant français. Une considération valant soutien, implicitement.
Ce qui était inscrit comme une visite ordinaire dans l’agenda de l’Elysée se transforma, côté camerounais, en un événement majeur, voire « historique ». La CRTV, chaîne de télévision camerounaise, y consacra, avant même la rencontre à l’Elysée, une série d’éditions spéciales, d’éditoriaux aussi grandiloquents qu’emphatiques… L’affaire avait viré au plus insoutenable suspense : François Hollande allait-il recevoir Paul Biya ? La visite à l’Elysée allait être vécue comme une victoire politique d’une portée extraordinaire. On allait voir ce que qu’on allait voir… La seule poignée de mains entre Hollande et Biya allait être célébrée dans le Cameroun entier comme un triomphe de l’irremplaçable commandeur auquel rien ne saurait résister… Comme un retour vers le passé, le pouvoir camerounais a donc orchestré cette visite comme celles qu’entreprenaient autrefois les dirigeants africains à peine sortis de l’époque coloniale : leur pouvoir se trouvait conforté – du moins le croyaient-ils -, à chaque rencontre avec le grand « Maître blanc ». Revenu au pays, ils déclaraient avec gourmandise et fierté : « Nous avons rencontré De Gaulle, et nous ne sommes pas revenus les mains vides. Nous sommes sur le chemin de la prospérité… » Mais ça, c’était avant… On n’imaginait pas qu’il subsistât encore, en 2013, chez certains dirigeants africains, des réflexes relevant de cette préhistoire. On n’imagine pas voir, de nos jours, face à une France qui, pourtant, n’a plus les ambitions et l’influence d’autrefois, des dirigeants africains inviter leurs populations à s’associer à l’idée que la seule rencontre, laborieusement sollicitée, avec un président français soit considérée comme la mère de toutes les victoires. A une époque où le postulat de la mondialisation s’impose au centre des relations internationales, il faut bien reconnaître que, chez nombre de dirigeants africains francophones, la décolonisation mentale demeure un défi à relever.
Autre date et scénario identique, avec le séjour parisien du Congolais Denis Sassou Nguesso, qui débuta le 8 avril 2013. Au cœur de cette visite dite « d’Etat », la première rencontre à l’Elysée avec son homologue français. Comme aux temps anciens, des Congolais résidant en France, avaient été rétribués pour se rendre à l’aéroport accueillir avec une belle ferveur leur président, afin que nul n’ignore à quel point il est aimé de son peuple… Même test, pari identique que celui entrepris par le Camerounais Paul Biya : démontrer aux yeux des Congolais, et accessoirement au yeux du monde, que le président français ne pouvait fermer la porte, malgré ses critiques à son égard, à celui qui, sans nuance, venait agiter devant les médias français, le spectre de la « concurrence chinoise » contre les intérêts français dans son pays. « La France a besoin du Congo, elle ne peut s’en passer », n’ont cessé de répéter les membres de la délégation congolaise durant ce séjour. A se demander pourquoi, alors, se dépenser sans compter pour venir serrer la main du « patron » français. Parce que, là aussi, l’argument économique n’est qu’un prétexte, quasiment secondaire, à une autre forme d’accomplissement : démontrer que rien n’a changé, que le cordon ombilical est toujours maintenu et entretenu entre Paris et Brazzaville. Une manière de satisfaction psychologique, signifiant, pour le maître de Brazzaville, une caution « française » à son régime, aux yeux de sa population. A une époque où les pays d’Afrique francophone, y compris le Congo, disposent des moyens et instruments d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, grâce notamment à la diversification de leurs partenaires économiques, les réflexes anciens perdurent : les liens supposés avec l’ancien colonisateur agissent toujours, selon les dinosaures françafricains, comme la justification fondamentale, voire « la légitimation » de leur pouvoir inconfortable. Quelle image renvoient ces dirigeants à leurs concitoyens ? Celle de l’être postcolonial, jamais tout à fait décolonisé, pris entre le désir d’affranchissement, le vertige de la responsabilité et le réflexe consommé de la soumission. Plus inquiétant, c’est la capacité de ces dirigeants à transformer, en toute lucidité, cette disposition de l’esprit en méthode de gouvernement, faite de stratégies matoises, de paradoxes maîtrisés et de démissions successives devant leurs obligations régaliennes… L’affaire est décidément compliquée…
Un regard sur le Bénin où les citoyens de ce pays semblent s’interroger, de plus en plus, sans en avoir les réponses justes, sur la vraie nature de leur président, Thomas Boni Yayi. Ahurissants, les interminables discours mâtinés de versets bibliques que le numéro un béninois inflige régulièrement à ses concitoyens, mais aussi lors de ses déplacements à l’étranger. Etourdissant, son activisme débridé tendant à prouver son engagement « sur tous les fronts du développement », sans que l’on en perçoive les résultats. Désespérant, son vaste projet pour un « Bénin émergent » présenté comme l’alpha et l’oméga de son action lors de sa première élection en 2006, et qui se perd dans les méandres d’une politique aux contours brumeux, où la roublardise le dispute à la divagation. Oublié, l’engagement du président en faveur de la lutte contre la corruption. En l’absence de résultats probants, l’homme a fini par adopter une posture messianique, convaincu de détenir la science universelle, hermétique au conseil et à l’autocritique, tout en dévoilant, au fil de son deuxième et dernier mandat – acquis à l’issue de l’élection de 2011 – un goût immodéré pour le pouvoir et ses attributs. D’où la grande crainte des Béninois : celle de le voir s’y habituer, au point de s’en enivrer.
Le débat s’est fait plus vif, depuis quelques semaines : ce président, aux actions de plus en plus indéchiffrables, et dont le mandat, selon les termes constitutionnels, devrait expirer en 2016, prendra-t-il le risque, au moyen de manœuvres parlementaires, de modifier la Constitution, de prolonger son bail au sommet de l’Etat ? En tout cas, ce soupçon s’est installé au cœur du débat politique, et de nombreuses voix s’élèvent pour mettre en garde Boni Yayi contre cette éventuelle « faute fatale ». Désormais, la question se pose, sans le moindre détour : Boni Yayi est-il dangereux pour la démocratie béninoise ? Et l’on se prend à rappeler que l’homme s’inspire volontiers du régime togolais du défunt Gnassingbé Eyadéma, aux antipodes du contexte politique béninois. Par ailleurs, l’on ne cesse de s’inquiéter de l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir, pour anéantir ses adversaires, y compris des journalistes non-inscrits dans le cercle d’une presse à la dévotion du président. Ne reculant plus devant aucune audace pour alimenter une troublante frénésie, confondant allègrement ses desseins personnels et sa fonction présidentielle, Thomas Boni Yayi a produit la plus dantesque affaire politico-juridique à laquelle son pays ait jamais été confronté : une tentative présumée d’empoisonnement contre sa personne à laquelle il aurait échappé. Et, avant même que la justice eut engagé la moindre investigation, le coupable fut immédiatement désigné : Patrice Talon, homme d’affaires dont il fut longtemps proche et qui fut le pourvoyeur de fonds de ses campagnes électorales. Un règlement de comptes entre amis, où le chef de l’Etat s’est érigé en procureur général, voire en exécuteur de ses adversaires désignés. Et les Béninois hésitent désormais entre un sentiment de honte nationale et la sidération, en observant leur président persister dans le rôle d’accusateur public, malgré le non-lieu prononcé par les juges, dans cette sombre et extravagante affaire d’empoisonnement. Le constat est désormais sans appel : la vie politique au Bénin se trouve dans une phase, à tout le moins préoccupante, de sévère dégradation.
(A Suivre : Notes de Saison II)
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