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Le blog de Francis Laloupo

BURUNDI : LE REFERENDUM DU « GUIDE ETERNEL »

On peut le dire désormais, la tragédie en cours au Burundi a été, peu à peu, au fil des mois, repoussée vers les marges de l’agenda de la politique internationale. Cela s’est produit sans bruit, subrepticement, sans avertissement et sans préavis. Le voyage entrepris par l’ancien secrétaire de l’Onu, Ban Ki-moon, en février 2016, allait agir comme une confirmation de cette réalité : le dossier burundais ne pouvait trouver une issue par le biais des canaux ordinaires de la diplomatie internationale et de la résolution des conflits. Au cœur de ce terrible constat : la personnalité du dirigeant burundais, personnage extravagant soutenu par une clique d’opportunistes jusqu’au-boutistes. Un ersatz de pouvoir d’Etat imperméable aux règles diplomatiques, et dont les principaux membres se sont appliqués depuis 2015 à opposer une forme d’autisme – un rôle de composition – aux recommandations de tous ceux qui ne se rangeaient pas à leur cause, à savoir transformer le Burundi en « un monde-à-part ». Un monde dirigé par Pierre Nkurunziza, et par ses partisans qui ont érigé ce dernier en « meilleur en toutes choses ».

Meilleur pasteur évangélique dispensateur de conseils bibliques,
footballeur aux talents quasi miraculeux du club personnel et présidentiel « Alléluia FC », et qui n’a pas hésité, en mars dernier, à jeter en prison deux footballeurs ayant eu le mauvais goût de bousculer le pasteur-président lors d’un match. Les deux hommes ont été écroués pour « complot contre le chef de l’Etat. » Dans cette course sans retenue vers l’Absurdie, le Président Nkurunziza a été hissé au rang de « Guide suprême éternel » (« Imboneza yamaho » en langue kirundi) par son parti, le CNDD-FDD. La Liste est longue, des titres dont se flatte un homme qui, somme toute, a davantage consacré son temps aux activités dites « communautaires » dans son pays – y compris le football et les prêches évangéliques – , qu’à devenir un chef d’Etat, depuis son accession au pouvoir en 2005.

Parmi les idées lumineuses de l’ancien maquisard qui continue de confondre un palais présidentiel avec son repaire de chef de guerre dans les collines, on notera, pour les plus récentes, l’arrestation d’enfants accusés d’avoir dessiné des portraits défavorables du Président ; une loi punissant les couples vivant en dehors des liens du mariage ; ou encore le racket d’Etat consistant à obliger tous les citoyens à donner une obole pour financer les futures opérations électorales.  Après avoir opéré un putsch constitutionnel en règle en 2015 pour se maintenir au pouvoir au terme de deux mandats, et tout en s’accommodant de l’exil prolongé de ses opposants et de ses concitoyens réfugiés dans les pays voisins, le maquisard jamais devenu un homme d’Etat, décide de la tenue d’un référendum, prévu au 17 mai 2018, portant sur une modification de la Constitution. Une opération – un acte de guerre de plus – qui devrait lui permettre de conserver son bail au sommet de l’Etat jusqu’en…  2034. Et plus, si improbables affinités. Pour l’ambiance, une campagne d’intimidations, orchestrée depuis le début de l’année par les partisans du régime à l’encontre de tous ceux qui seraient tentés de promouvoir le rejet du texte du référendum. Pour l’ambiance toujours, la FIDH rapporte une « campagne de terreur » de la part des autorités, pour contraindre la population à s’inscrire sur les listes électorales et à voter en faveur de la révision constitutionnelle.

Ce référendum intervient dans un contexte conflictuel caractérisé, suite au braquage de l’Etat opéré en 2015 par Pierre Nkurunziza et ses affidés. Un événement qui continue de produire son lot de violences dont le bilan officiel s’élève à ce jour à quelque 3000 morts, des centaines de disparus, et pas moins de 400 000 réfugiés dans les pays voisins. Après l’instauration d’une terreur systémique érigé en mode de gestion de l’espace national, l’heure est donc venue pour la clique au pouvoir au Burundi de confirmer un projet très tôt soupçonné : la captation totale du Burundi. Pour quoi faire ? La question reste ouverte. Car ici, l’on n’a pas affaire à une simple captation du pouvoir d’Etat visant, pour l’essentiel, à garantir les intérêts matériels d’un clan aux inclinaisons maffieuses. Le projet de Nkurunziza, soutenu par ceux qui en ont fait leur « guide éternel », est autrement plus alambiqué, échappant au registre ordinaire de la polémologie. A y regarder de plus près, l’ébouriffante équipe au pouvoir au Burundi, entraîné par son guide, tournant le dos à la communauté internationale, enfermant le pays sur lui-même, s’applique, sous le regard effaré du monde, à transformer un pays en une « anomalie politique », une entité politico-mystique. A mesure que le discours politique s’érode au profit de références mystico-religieuses, ceux qui n’ont pas su, depuis plus d’une décennie se convertir en bâtisseurs d’Etat, auront trouvé dans le recours à un mysticisme douteux le moyen d’échapper au jugement de l’opinion internationale.

Au nom d’une foi mystique dont Pierre Nkurunziza serait le prophète, matinée d’un fallacieux « combat contre le colonialisme », ceux qui se sont portés aux commandes du Burundi, avec la main sur la gâchette des armes tendues vers la population, ont trouvé le parfait créneau pour tourner le dos à toutes les condamnations émises contre leur régime. Toutefois, au-delà de la tactique et des procédés matois, le «logiciel» Nkurunziza imprègne inexorablement le corps social du pays. Ainsi, l’adhésion militante ou forcée au régime se mue en un obscur fanatisme. Avec un référendum qui viendrait sceller l’éternité de son pouvoir, Nkurunziza pourrait-il résister à la tentation de l’instauration, au moins pernicieuse, d’un Etat « religieux » ? Un Etat dont la violence, la terreur structurelle et le mensonge organique constitueraient alors le fondement, de même que l’expression de son bon droit. Cette ultime hypothèse parcourt aujourd’hui les méandres des collines burundaises.

Francis Laloupo

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