Opinions, Humeurs et Géopolitique

Le blog de Francis Laloupo

Côte d’Ivoire, Afrique et Communauté internationale.

Ingérence, disent-ils…

Il y a quelque chose d’affligeant dans cette manière, devenue mécanique, de désigner comme un impénétrable complot, ourdi contre l’Afrique, les prises de position exprimées par l’opinion internationale dans des contextes de crise. Prises de position qu’aucun tribunal normalement constitué ne saurait inverser. On peut observer ce phénomène actuellement dans le cadre des événements qui se déroulent en Côte d’Ivoire… Nous y viendrons plus loin, car la question est symptomatique de cette confusion de la pensée qui caractérise l’époque.

Autant les Congolais (RDC) inondent l’actualité de leur désespoir – justifié – face à l’irrépressible désastre politique, économique, humanitaire, devenu la marque distinctive de leur pays depuis des décennies, autant ils sont prompts à fustiger « l’ingérence étrangère », dès lors que les émissaires de l’Onu émettent un rapport alarmant sur cette même situation qu’ils sont pourtant les premiers à dénoncer. Au fil du temps politique en Afrique, l’occasion m’est donnée de rencontrer des personnalités politiques se réclamant de « l’opposition », m’affirmant au-delà de toute honte possible, que « seule une intervention extérieure » pourrait libérer leurs pays du joug des satrapes qui les ont ruinés… J’ai beau leur dire qu’il serait grand temps qu’ils trouvent en eux-mêmes, avec leurs concitoyens, les ressorts permettant d’inverser le cours du malheur, ils demeurent convaincus que la conquête du Graal passe par le soutien d’un président français, ou d’un conseiller influent de ce dernier. Dans leur propos, une phrase revient, tel un gimmick : « Que fait donc la communauté internationale ?». Pour devenir calife à la place du calife, le soutien extérieur est considéré comme l’alpha et l’oméga de leur cause… Les mêmes crieront ensuite à l’ingérence étrangère, lorsque des États membres de cette fameuse communauté internationale adopteront, dans les jeux de médiations de crise, des positions contraires à leurs visées… Dès lors, ils endosseront les habits de nationalistes, parés de toutes les vertus, sollicitant la colère de leurs concitoyens, et vitupérant contre l’impérialisme…

Même attitude schizophrénique lorsqu’on en arrive à transformer en corpus idéologique la dénonciation systématique de la Cour pénale internationale, sous prétexte qu’elle ne poursuit que des Africains. Un système de pensée qui aboutit à rendre superfétatoires les actes imputés aux prévenus, et dont les Africains ont été les principales victimes… Il faut aussi remarquer que ce sont les mêmes dirigeants politiques africains qui ont instauré dans leur pays la culture de l’aide et de l’assistance, en démissionnant de leurs obligations et en se rendant complices de toutes les compromissions préjudiciables à l’indépendance de leur pays qui, les premiers, entonnent le refrain nationaliste dès que leurs pratiques sont dénoncées par ceux-là mêmes qui les protégeaient naguère. On a même vu le maréchal zaïrois Mobutu Sese Seko au crépuscule de son règne, accuser « l’impérialisme » d’une Amérique qu’il a pourtant servie sa vie durant, tournant le dos à son peuple, et convaincu, pour sa perte, que le temps était immobile… La communauté internationale ne serait donc applaudie que lorsque ses positions, quelles qu’elles soient, coïncident avec les orientations de ceux qui aimeraient en faire l’instrument de leurs seuls desseins. Autrement, il faudrait la dissoudre. Du bon usage de la communauté internationale !…

Au déclenchement de la crise ivoirienne le 19 septembre 2002, quelques heures après le coup d’État manqué contre Laurent Gbagbo, j’étais en contact régulier avec certains de ses émissaires qui avaient, sans délai, entrepris des démarches auprès des officiels français pour réclamer une intervention de l’armée française en sa faveur… Jacques Chirac, pas mécontent de voir son homologue ivoirien dans la tourmente, avait alors rappelé qu’une telle intervention ne pouvait se justifier qu’en cas d’agression extérieure… Les émissaires et autres conseillers ivoiriens avaient cru bon alors de confectionner frénétiquement un dossier totalement « bidonné », prétendant que la rébellion était essentiellement composée d’éléments armés étrangers… Rien n’y fit. On connaît la suite de l’histoire, la France prenant la précaution politique de se placer sous le couvert de l’Onu… Si Paris avait promptement volé au secours de Laurent Gbagbo comme celui-ci l’avait souhaité, l’histoire de la crise aurait pu difficilement abriter l’antienne du bras-de-fer entre le preux chevalier nationaliste Gbagbo dressé contre la France désignée comme la cause de tous les maux ivoiriens. Quoique… en politique, on ne ment jamais, on change simplement de sincérité…

Aujourd’hui, plutôt que de s’en tenir à la réalité des faits, à une lecture lucide des résultats d’une élection présidentielle qui s’est conclue par la défaite du président sortant, on entend monter les vaines clameurs des « nationalistes » de la vingt-cinquième heure, dont Gbagbo serait le héros sans tâche, que chercherait à abattre une communauté internationale artisan comploteur du malheur ivoirien ! Cinquante ans après les indépendances, se rend-t-on seulement compte à quel point ce type de pensée actionnée par l’irrationnel, nourrie d’incantations et inapte à démontrer sa logique, est la marque d’une auto-infantilisation contre laquelle ceux qui y ont recours se défendent par ailleurs ?… Imagine-t-on seulement des centaines de personnalités membres d’instances officielles, allant de l’Union africaine à l’Union européenne, de la Cedeao au Conseil de sécurité de l’Onu, en passant par l’Organisation de la Francophonie et diverses organisations de la société civile… Les imagine-t-on dans un mouvement concerté, dépensant leur énergie sans compter, n’ayant qu’une seule obsession : défaire Gbagbo, en ayant adoubé Alassane Ouattara, juste pour le plaisir de voir la Côte d’Ivoire sombrer dans les affres de la domination « étrangère », de la dépendance et de la soumission ? La théorie du complot ignore les frontières de la raison…

Huit ans durant, la communauté internationale s’est fortement investie dans la résolution de la crise ivoirienne, notamment à travers les forces de l’Onuci. Cette implication a un coût… colossal. L’on parle des élections les plus chères jamais organisées en terre africaine. Aussi, les critiques adressées aujourd’hui par les partisans du pouvoir sortant à l’encontre de l’Onu relèvent simplement de l’indécence… Comment peut-on raisonnablement, au nom d’une prétendue sauvegarde de « la souveraineté », accuser d’ingérence, en rejetant sa parole, une organisation qui, avec de gigantesques moyens financiers, matériels et humains autorisés par la collectivité internationale, s’est employée à endiguer une guerre civile et à préserver l’intégrité territoriale du pays – donc sa souveraineté -, depuis huit ans ?

On pourrait indéfiniment disserter sur les tenants et aboutissants de ce que l’on nomme la communauté internationale, dont la réalité peut d’ailleurs varier, selon les circonstances historiques et certaines machinations politiques. Et il faut bien reconnaître que le fait d’avoir imputé à la communauté internationale une guerre privée de l’Amérique contre l’Irak constitua une faute historique, une escroquerie politique majeure… Cependant, l’existence d’une communauté internationale, imparfaite, inachevée, demeure l’une des grandes avancées des temps modernes, et pour certains, un mal nécessaire, à tout le moins. Il faut bien rappeler que cette « communauté » n’est pas un corps extérieur agissant, un alien. Nous en sommes parties prenantes. Il ne faut ni la sous-estimer, ni la surestimer. Cette « communauté » ne peut être suspecte de projet impérialiste. Elle en est incapable, par essence. Elle est nous. Et ceux qui sont en charge de nos États le savent bien, même quand ils feignent parfois de l’ignorer, lorsque leurs sombres desseins se trouvent contrariés… Au regard de la crise ivoirienne, il faut se réjouir de voir cette communauté internationale se manifester, comme rarement auparavant, avec des contours aussi clairement identifiables, massivement, totalement présente, depuis le continent africain au reste du monde. Et lorsque cette communauté des nations affirme qu’il fait jour à midi, force est de reconnaître qu’il serait difficile de la contredire, au risque de se perdre dans de sombres combinaisons d’une pensée pervertie et sans issue.

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